15/01/2019
GFME, lettre de l'ARTC 12/2009
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La lettre de l'ARTC, décembre 2010

 

VEGF/Glutamate : une nouvelle interaction dans le pouvoir invasif des glioblastomes ?


Dr Stéphanie LAY

Docteur Stéphanie LAY


Le Dr Stéphanie LAY, virologiste et immunologiste de formation, a réalisé sa thèse et un premier postdoctorat à Paris au sein de l'Institut Pasteur Elle est actuellement en postdoctorat à Lyon dans l'unité INSERM U842 « neuro-oncologie et neuro-inflammation », dirigée par le Pr Jérôme Honnorat, où elle travaille en collaboration avec le Dr Claire Meissirel sur la résistance des glioblastomes aux thérapies antiangiogéniques et la mise en évidence d'une voie de signalisation permettant d'expliquer ce phénomène. Il s'agit d'une recherche capitale pour mieux comprendre le développement de ces tumeurs et, à terme, proposer de nouveaux traitements.

Votre recherche porte sur « l'échappement tumoral » de tumeurs cérébrales très agressives, les glioblastomes. Pouvez-vous définir succinctement ce phénomène ?
En effet, mon projet porte sur la mise en évidence d'une voie de signalisation pouvant expliquer la capacité des glioblastomes à résister aux thérapies communément utilisées. La voie thérapeutique actuelle consiste à inhiber le processus d'angiogenèse. Il s'agit d'un mécanisme biologique permettant aux vaisseaux sanguins existants de créer de nouveaux vaisseaux et de favoriser la croissance de la tumeur en fournissant l'oxygène et les nutriments nécessaires à son expansion. Pour cela nous utilisons des anticorps synthétisés pour être dirigés contre le facteur de croissance de l'endothélium vasculaire (VEGF). Cette inhibition a pour but d'asphyxier la tumeur et de la faire régresser. Mais il a été montré que ces tumeurs pouvaient s'adapter au traitement, devenir après quelque temps résistantes à la thérapie et adopter un phénotype invasif et hautement infiltrant.
Quel est le point de départ de vos recherches et leur intérêt dans le cadre des tumeurs cérébrales ?
Nous souhaitons comprendre les mécanismes intervenant dans le phénomène d'échappement tumoral en travaillant sur des facteurs facilitant les capacités migratoires des cellules de glioblastomes. Nous nous intéressons principalement à deux facteurs connus pour contribuer aux propriétés invasives des glioblastomes : le VEGF et le glutamate. Des études précédentes au laboratoire ont montré qu'une interaction entre ces deux facteurs est responsable de la migration orientée des neurones. Nous avons voulu déterminer si cette interaction peut expliquer l'amplification de la croissance tumorale dans le cas des glioblastomes. La mise en évidence d'un rôle du VEGF dans le trafic et l'activation des récepteurs au glutamate pourrait permettre d'identifier de nouveaux mécanismes moléculaires responsables du contrôle de l'invasion tumorale et mettre en oeuvre de nouvelles combinaisons thérapeutiques pour contrecarrer le phénomène de résistance de ces tumeurs.


Comment comptez-vous, en pratique, étudier ce phénomène ?Avez-vous déjà des résultats ?

Nous utilisons des modèles dits « in vitro », c'est-à-dire des cultures de cellules humaines maintenues vivantes hors de l'organisme dans des boîtes de culture, et travaillons avec différentes lignées cellulaires de glioblastomes (Figure 1).

 

Glutamate

Figure 1 : Observation au microscope de deux lignées de glioblastome en culture (A : GL15 et B : U87)

 

Je réalise, en particulier, des expériences de migration en « chambre de Boyden » au cours desquelles les cellules en culture sont soumises à différents traitements et migrent à travers une membrane poreuse. Les cellules ayant migré sont marquées avec une molécule fluorescente permettant de visualiser leur noyau au microscope et de réaliser un comptage (Figure 2 A et B). Pour étudier la contribution des deux voies de signalisation VEGF et glutamate, dans les capacités invasives des glioblastomes, des tests de migration en présence d'inhibiteurs spécifiques de ces deux voies sont réalisés en chambre de Boyden. Des résultats préliminaires ont montré une corrélation entre le niveau d'expression des récepteurs au glutamate et le taux de migration des cellules de glioblastomes (Figure 2 C et D). D'autres analyses sont en cours, notamment en présence des différents inhibiteurs, et donnent des résultats très encourageants.

 

 

Glutamate

Figure 2 : Visualisation à l'aide d'un microscope à fluorescence des cellule en migration sur chambre de Boyden (A et B)

 


Les cellules ayant migré se trouvent sur la face inférieure du filtre et sont colorées à l'aide d'un marqueur des noyaux. Détection de l'expression des récepteurs, exemple du glutamate, à l'aide d'un anticorps spécifique (C et D).
Deux lignées différentes de glioblastomes sont utilisées (GL15 et U87).
On note une corrélation entre l'expression du récepteur et le taux de migration.

Dans quel cadre se déroule le projet ? Quelle est votre formation et comment êtes-vous arrivée à la recherche sur les tumeurs cérébrales ?
Ce projet postdoctoral est réalisé en collaboration avec le Dr Claire Meissirel dans l'unité INSERM U842 « neuro-oncologie et neuro-inflammation » dirigée par le Pr Jérôme Honnorat à Lyon, et a débuté il y a moins d'un an. Différentes collaborations sont mises en place au sein du laboratoire mais également à l'extérieur pour utiliser au mieux les compétences de chacun et lutter plus efficacement contre cette maladie. Virologiste de formation, j'ai travaillé pendant de nombreuses années sur les mécanismes de mort cellulaire (apoptose) induite par les virus en abordant en particulier des thématiques comme l'induction de la mort des cellules tumorales. Ma rencontre avec le Pr Jérôme Honnorat m'a ainsi permis d'intégrer son laboratoire et le groupe du Dr Claire Meissirel afin de débuter ce projet sur les glioblastomes et le mécanisme de résistance de ces tumeurs. Je suis particulièrement intéressée par ce sujet et souhaiterais le développer vers des thérapies anticancéreuses.

Quelles sont les perspectives de ces travaux de recherche ?
L'ensemble de ces expériences devrait nous fournir des indications précieuses sur les mécanismes d'action du VEGF dans le recrutement et l'activation des récepteurs au glutamate. De plus, ces travaux nous aideront à déterminer si l'interaction de ces deux voies de signalisation favorise la progression tumorale et l'invasion. Les résultats obtenus sur nos modèles in vitro seront dans un deuxième temps validés sur des modèles plus proches de la pathologie humaine : modèles animaux et cultures primaires dérivées de biopsies de patients. À terme, ces travaux apporteront une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires régulant le développement des glioblastomes et pourraient permettre la mise en place de nouvelles thérapies ciblées anti-VEGF et antirécepteurs au glutamate pour déjouer le phénomène de résistance aux traitements actuels et contrôler ainsi l'invasion tumorale.
Pour conclure, je souhaiterais remercier tout particulièrement les membres et les donateurs de l'ARTC pour le soutien financier dont j'ai pu bénéficier pour débuter ces travaux de recherche.

Les mutations du gène IDH constituent un nouveau marqueur pronostique des gliomes de bas grade

Dr Houillier




Docteur Caroline HOUILLIER


Le Dr Caroline Houillier est Chef de Clinique Assistant dans le service du Pr Jean-Yves Delattre à l'hôpital de la Salpêtrière. Elle est impliquée dans la recherche clinique et travaille en étroite collaboration avec le laboratoire INSERM U975, plus
particulièrement sur les gliomes de bas grade


Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est un gliome de bas grade ?

Les gliomes de bas grade sont aussi dénommés gliomes de grade II dans la classification de l'OMS, qui comporte quatre grades d'agressivité croissante. Ce sont des tumeurs cérébrales primitives rares, de faible grade de malignité, survenant en général chez des adultes jeunes. Elles se révèlent dans 90% des cas par des crises d'épilepsie sans autre symptôme. La lm étape de leur traitement est en général la chirurgie. Selon les cas, la prise en charge peut ensuite se limiter à une simple surveillance ou comporter un traitement complémentaire par de la radiothérapie ou de la chimiothérapie.

 

Gliome de bas grade


IRM d'un gliome de bas grade traité par témozolomide. IRM de début de traitement et évolution après 6 mois puis 18 mois de traitement. La tumeur qui apparaît en début de traitement sous la forme d'une tache blanche a régressé.

Peut-on prédire l'évolution de ces gliomes de bas grade ?
L'évolution des gliomes de bas grade est très variable. Ainsi, afin de guider nos traitements, il est très important d'avoir une idée du degré d'agressivité de la tumeur ou de sa sensibilité aux différents types de traitements. Un certain nombre de paramètres cliniques semblent contribuer au pronostic : par exemple, les études cliniques ont montré qu'un âge plus jeune, un bon état clinique au moment du diagnostic ou une exérèse chirurgicale permettant de retirer la plus grande partie de la tumeur étaient liés à un pronostic plus favorable. Dans la fin des années 90, plusieurs équipes de recherche ont identifié, en analysant l'ADN des tumeurs, des marqueurs biologiques ayant une valeur pronostique. Ainsi, il est maintenant clairement établi que la présence d'une perte des chromosomes 1 et 19 au sein de la tumeur constitue une « signature moléculaire » associée à une évolution plus favorable. On suspecte que cette signature est également indicatrice d'une sensibilité accrue à la chimiothérapie. Des recherches cliniques sont en cours pour le vérifier. Il faut maintenant s'attacher à rechercher d'autres marqueurs, notamment chez plus de la moitié des patients qui ne présentent pas cette signature.

Comment a-t-on été amené à étudier les gènes IDH ?
Une équipe américaine a mené en 2008 une analyse systématique à grande échelle de nombreux gènes dans différents types de tumeurs. Parmi les résultats obtenus, il fut retrouvé, dans des gliomes, la présence de mutations des gènes appelés IDH. Ces gènes permettent, en situation normale, la synthèse d'une enzyme importante appelée isocitrate deshydrogénase, qui joue un rôle-clé dans le métabolisme normal de la cellule et dans la défense des cellules normales contre les agressions appelées « stress oxydatifs ». Les mutations du gène retrouvées dans les tumeurs entraînent un dysfonctionnement cellulaire et contribuent au développement tumoral. Il s'agit d'une nouvelle piste pour comprendre l'origine des gliomes car les mutations semblent survenir très précocement. À la clé, on entrevoit des perspectives thérapeutiques très intéressantes. C'est pourquoi je me suis intéressée à la signification clinique de cette découverte pour les patients souffrant spécifiquement de gliomes de bas grade.

Comment s'est déroulée votre recherche ?
Nos résultats ont été le fruit de la collaboration entre les médecins du service, l'équipe de recherche du laboratoire INSERM U975 et plusieurs membres de l'ARTC. Nous avons travaillé de façon rétrospective, à partir de la base de données du service, gérée par Muriel Brandel et pour laquelle Anne-Marie Lekieffre collecte de façon assidue depuis de nombreuses années les principales informations concernant les patients suivis dans le service pour une tumeur cérébrale. Nous avons ainsi pu identifier 271 patients pris en charge pour un gliome de bas grade, qui avaient donné leur consentement pour que des échantillons sanguins et tumoraux prélevés lors de leur opération soient utilisés à des fins de recherche. C'est l'équipe du laboratoire, notamment Blandine Boisselier, technicienne de recherche, Xia-Wei Wang, doctorante, boursière de l'ARTC, et Marianne Labussière, postdoctorante, qui s'est chargée de la recherche des mutations IDH sur les échantillons tumoraux. Le profil moléculaire des tumeurs a été complété par l'analyse de plusieurs autres marqueurs, notamment les délétions des chromosomes 1 et 19, dont nous avons parlé précédemment, et le statut du gène MGMT. Nous avons ensuite essayé de chercher, par des analyses statistiques, des corrélations entre les données cliniques et les données moléculaires que nous avions obtenues.

Quels ont été les principaux résultats ?
Nous avons retrouvé une mutation d'un gène IDH dans environ 2/3 des gliomes de bas grade et une perte des chromosomes lp et 19q dans environ 1/3 des cas. Ces marqueurs étaient étroitement liés puisque la quasi-totalité des patients avec perte des chromosomes 1p et 19q avaient également une mutation IDH. Le grand résultat de notre recherche a été de montrer de façon très claire que le pronostic de la maladie était plus favorable en cas de mutation IDH ou de perte des chromosomes lp et 19q. Afin d'approfondir ces résultats, nous avons ensuite étudié un sous-groupe de 84 patients traités par chimiothérapie avec du Temodal® après la chirurgie. Grâce à l'aide précieuse de Marie-Aline Renard, bénévole de l'ARTC, nous avons mesuré l'évolution du volume tumoral sur les IRM successives pour chacun des patients au cours de la chimiothérapie, afin de déterminer le degré de réponse à ce type de traitement. Puis nous avons corrélé la réponse à la chimiothérapie au statut moléculaire. Nous avons pu ainsi montrer que les mutations IDH étaient associées de façon très nette à une chimiosensibilité accrue. Ces résultats ont été sélectionnés pour être présentés au Congrès américain de Cancérologie de l'ASCO à Chicago en juin 2010 et vont être très prochainement publiés dans la revue officielle « Neurology » de l'American Academy of Neurology.

Quelle va être l'application pratique de ces résultats dans les mois prochains ?
La mutation des gènes IDH va être recherchée de façon systématique dans le bilan initial de nos patients atteints de gliome de bas grade. Ainsi la présence ou non d'une mutation IDH va pouvoir nous guider dans nos choix thérapeutiques, au même titre que certaines données cliniques, IRM ou histologiques. La mise à disposition d'anticorps susceptibles de détecter le marqueur IDH muté directement sur la lame facilitera cette analyse en routine lors du diagnostic histologique.
Nous remercions l'ARTC, ses membres bénévoles qui participent à nos recherches et ses généreux donateurs pour le soutien qu'ils nous ont apporté dans la réalisation de ce travail.

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