15/01/2019
GFME, lettre de l'ARTC 12/2009
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La lettre de l'ARTC, décembre 2009

Le Docteur Ahmed Idbaih a rejoint l'équipe de Neuro-oncologie du Professeur Jean- Yves Delattre à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière comme Chef de Clinique-Assistant (C.C.A.). Il a également intégré l'équipe de recherche du laboratoire de neuro-oncologie expérimentale (INSERM). Après avoir réalisé une thèse de Sciences à l'Institut Curie sur la Biologie moléculaire des tumeurs gliales, il a effectué un stage postdoctoral de deux ans dans le laboratoire de recherche du Docteur Keith Ligon au prestigieux Dana­Farber Cancer Institute, partie intégrante du Harvard Cancer Center, à Boston, aux Etats-Unis. L'ARTC est fière d'avoir soutenu ce parcours scientifique d'excellence et misé sur l'avenir. Le Docteur Idbaih a gentiment accepté de répondre à nos questions.


Dr Idbaih

Docteur Ahmed Idbaih, neuro-oncologue à La Salpêtrière

Retrouvez le Docteur Ahmed Idbaih dans notre journal n° 46




Dr Idbaih, quelles étaient vos motivations pour partir effectuer votre stage postdoctoral aux Etats-Unis ?
Les Etats-Unis sont une référence internationale dans le domaine de la recherche biologique, et en particulier dans la recherche sur le cancer. En effet, de nombreux laboratoires très performants, abordant tous les aspects de la biologie des tumeurs, sont répartis sur l'ensemble de ce gigantesque territoire. Les moyens humains et matériels alloués à la recherche biologique y sont colossaux. L'Amérique du Nord constitue donc une destination propice pour tous les postdoctorants souhaitant compléter leurs compétences en biologie des tumeurs et éventuellement développer des collaborations scientifiques. Enfin, les échanges quotidiens se font en anglais, aujourd'hui la langue de référence dans toutes les communications scientifiques et médicales, et il était important de pouvoir profiter de ce projet de recherche pour également mieux maîtriser ce langage scientifique. En plus de ces atouts qui ont motivé mon séjour outre- Atlantique, côtoyer nos collègues américains me permettait de découvrir une autre culture universitaire et d'autres méthodes d'organisation et de travail.
Pouvez-vous nous présenter brièvement le laboratoire qui vous a accueilli durant votre stage postdoctoral ?
Le laboratoire du Dr Keith Ligon est situé à Boston, une ville qui pourrait presque se résumer à un vaste campus universitaire avec de nombreuses universités et écoles d'enseignement supérieur prestigieuses, comme l'université d'Harvard ou le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour ne citer que ces deux-là.
Le laboratoire est tout jeune, créé il y a deux ans, dans un étage flambant neuf du Dana-Farber Cancer Institute à côté de trois autres unités de recherche dédiées également à la biologie du cancer. Le Dana­Farber Cancer Institute est un établissement mixte avec à la fois de nombreux services médicaux prenant en charge les patients atteints de cancer et des dizaines de laboratoires de recherche ultramodernes. Cette organisation permet d'étroites et synergiques collaborations entre les médecins et les chercheurs.
J'étais le premier postdoctorant dans le laboratoire qui comptait alors deux techniciens. Depuis, trois postdoctorants sont venus ou vont venir renforcer l'équipe.
Quels sont les axes de recherche et les particularités de votre laboratoire d'accueil ?
Le Dr Ligon est neuropathologiste de formation, spécialisé dans les tumeurs cérébrales. Son laboratoire, dans lequel j'étais, est principalement concentré sur l'étude du rôle de petites protéines, appelées « facteurs de transcription », dans les tumeurs cérébrales. Les facteurs de transcription agissent comme une véritable touche « entrée » de votre ordinateur. En effet, lorsqu'ils établissent un contact physique avec le génome de la cellule (ADN), ils sont capables d'enclencher de véritables programmes biologiques. Ces programmes sont très complexes. Ils font intervenir de nombreuses molécules qui contrôlent à leur tour des processus vitaux pour la cellule (comme par exemple la division cellulaire).
Ces protéines sont bien connues dans la biologie du développement. Elles permettent notamment de bien coordonner, dans le temps et dans l'espace, la vie d'une cellule et d'un organisme. Par exemple, les facteurs de transcription via les programmes, précédemment évoqués, permettent de transformer une cellule unique en un organisme viable composé de différents organes.
Le rôle des facteurs de transcription est sans doute déterminant dans le développement des tumeurs, mais leur mode d'intervention reste encore en grande partie à élucider. Actuellement, de nombreux ponts sont établis entre la biologie du cancer et la biologie du développement. La cellule tumorale serait en quelque sorte une cellule normale dont les programmes moléculaires (contrôlés par les facteurs de transcription) seraient défectueux ou « buggés », pour conserver l'image informatique.
Votre projet était donc également centré sur les facteurs de transcription ?
Oui, exactement et plus précisément sur l'un d'entre eux, appelé SOX2. Il existe plusieurs milliers de facteurs de transcription dans les cellules normale et tumorale. Cependant, à l'heure actuelle, il est encore techniquement difficile de les étudier tous simultanément.
SOX2 est un facteur de transcription particulièrement intéressant. Il est présent dans les cellules cérébrales cancéreuses en quantité nettement plus importante que dans les cellules du cerveau adulte normal. De plus, il joue un rôle-clé dans les étapes précoces du développement. Ce facteur de transcription nous apparaissait donc potentiellement important dans la biologie des tumeurs cérébrales et a monopolisé tous nos efforts durant deux ans.
Quels sont les résultats notables que vous avez obtenus et auront-ils un impact clinique à court terme pour les patients atteints de tumeur cérébrale ?
Tout d'abord, par différentes approches techniques, nous avons confirmé la forte présence de la protéine SOX2 dans les cellules tumorales des gliomes. De plus, cette forte présence de SOX2 semble assez caractéristique de ce type de tumeur cérébrale. Ce résultat, qui constitue le socle des études fonctionnelles dont je vais vous parler dans quelques instants, a également un intérêt pratique. En effet, le diagnostic des tumeurs cérébrales est parfois difficile. Evaluer la quantité de SOX2 dans la tumeur permettrait de préciser de quel sous-type de tumeur cérébrale il s'agit et d'aider le neuropathologiste dans sa démarche diagnostique. Un diagnostic précis est important pour la prise en charge médicale ultérieure du patient.
La deuxième partie de mon projet était d'évaluer les fonctions de la protéine SOX2 dans les glioblastomes. En fait, à quoi sert cette protéine présente en quantité importante dans les tumeurs cérébrales ? Cette protéine joue-t-elle un rôle majeur dans le développement des glioblastomes ? Pour essayer de répondre à ces questions nous avons, dans un premier temps, à l'aide d'un virus remanié servant de « cheval de Troie », augmenté la quantité de SOX2 (expérience dite de « gain de fonction ») et dans un second temps, diminué la quantité de SOX2 dans des cellules de glioblastome (expérience dite de « knock- down ») afin d'en observer les conséquences et ainsi d'étudier indirectement le rôle de SOX2.
Les résultats que nous avons obtenus étaient concordants et encourageants. En effet, augmenter la quantité de SOX2 accélère la croissance des cellules de glioblastome. En revanche, diminuer la quantité de SOX2 dans les cellules tumorales réduit leur vitesse de prolifération. Ces résultats ont été obtenus in vitro (dans des boîtes en plastique de cultures cellulaires) mais également et de manière plus intéressante in vivo sur un modèle animal, la souris. Cette différence, en termes de croissance, a été observée grâce à un scanner cérébral conçu spécialement pour les petits animaux et permettant de visualiser la progression des tumeurs cérébrales humaines transplantées dans le cerveau de souris (figure). L'ensemble de ces résultats sont encourageants et pointent SOX2 comme une cible thérapeutique potentielle dans le traitement des tumeurs cérébrales.
Que retiendrez-vous de votre séjour outre- Atlantique ?
Ce que j'ai retenu ? Principalement la rudesse du climat de Boston avec la Charles River gelée l'hiver ! Plaisanterie mise à part, j'ai appris et retiendrai énormément de mon séjour aux Etats-Unis. Tout d'abord, sur le plan technique, je me suis familiarisé avec la manipulation des cellules tumorales in vitro. Ces manipulations de cellules tumorales constituent la première étape pour explorer toute hypothèse biologique. Ensuite, j'ai appris à travailler sur les modèles animaux. Les résultats obtenus in vitro nécessitent dans la mesure du possible une validation in vivo (chez la souris) avant d'envisager toute étude chez l'Homme. Mon stage postdoctoral m'a également permis d'étoffer et d'affiner mes connaissances sur la biologie des tumeurs cérébrales et de perfectionner mon anglais. Enfin, avoir été le premier postdoctorant du laboratoire a été une chance. Cela m'a permis d'observer la mise en place d'un laboratoire de recherche et les obstacles, mais également le soutien, que l'on peut rencontrer dans une telle aventure.
Riche de cette nouvelle expérience, je vais réintégrer maintenant le service et l'équipe de recherche du Pr Delattre pour participer à ses travaux et, je l'espère, initier de nouveaux projets de recherche.
Aux Etats-Unis comme en France, les associations de patients et de familles de patients ainsi que les donateurs jouent un rôle moteur dans la recherche, qu'elles soutiennent financièrement et moralement. Aussi, je souhaiterais terminer en remerciant l'ARTC, la Fondation pour la recherche médicale et l'Association américaine pour les tumeurs cérébrales pour leur soutien durant mon séjour outre- Atlantique.
Interview réalisée en octobre 2009


Souris

Scanner d'une tumeur greffée sur une souris

Figure. « Scanner » pour souris. A gauche, une souris avec une tumeur cérébrale humaine injectée dans le cerveau (zone bleue, verte et rouge). A droite, une souris avec la même tumeur cérébrale humaine dans laquelle la quantité de la protéine SOX2 a été réduite (zone bleue, verte et rouge moins étendue que sur l'image de gauche). L'imagerie a été faite un mois après l'injection de la tumeur humaine dans le cerveau des souris. A un mois, la tumeur manipulée est moins volumineuse que la tumeur non manipulée (Ahmed Idbaih, Andrew Kung, Keith Ligon).


La neuro-toxicité :
Les Drs Damien Ricard (Service de neurologie à l'Hôpital d'instruction des Armées du Val-de- Grâce, Paris) et Carole Soussain (Service d'Hématologie, Centre René Huguenin, Saint- Cloud) développent au sein du laboratoire de neuro-oncologie expérimentale (INSERM U975) des recherches originales sur la toxicité des traitements anticancéreux sur le cerveau (appelée aussi neurotoxicité). Mieux comprendre pourquoi les traitements contre les tumeurs cérébrales peuvent aussi parfois abîmer le cerveau, c'est savoir prévenir pour le futur ce risque et le réduire en améliorant la tolérance à ces traitements., neuro-oncologue à La Salpêtrière


Dr Ricard

Docteur Damien Ricard et Docteur Carole Soussain


Quel est le sujet de vos recherches ?

DR : Nous voulons comprendre les mécanismes qui conduisent certains patients à développer des lésions cérébrales après avoir reçu un traitement antitumoral et en particulier après la radiothérapie cérébrale associée ou non à une chimiothérapie.
CS : Car comprendre quelles sont les zones du cerveau les plus fragiles permettrait de mettre au point des stratégies ou des traitements protégeant le « cerveau sain » pendant la radiothérapie dirigée contre la tumeur cérébrale.


Quel est le point de départ de ces recherches ?

CS : Les traitements des tumeurs cérébrales deviennent plus efficaces avec les progrès médicaux auxquels on assiste ces dernières années et laissent aujourd'hui espérer des survies


IRM cerveau axiale

Photo 1 : IRM coupe axiale, séquence FLAIR du cerveau d'un patient efficacement traité par une irradiation cérébrale pour des métastases et présentant quelques mois plus tard des séquelles du traitement sous la forme de plages blanches dans le tissu cérébral.


Il s'agit du cerveau d'un patient efficacement traité par une irradiation cérébrale pour des métastases et présentant quelques mois plus tard des séquelles du traitement sous la forme de plages blanches dans le tissu cérébral prolongées chez de nombreux patients, mais au prix de séquelles pour le cerveau qui ont la particularité de ne pas être prévisibles et d'apparaître souvent à distance du traitement (plusieurs mois ou années). C'est le cas en particulier des patients présentant des lymphomes cérébraux primitifs, traités par l'association de la chimiothérapie et de la radiothérapie. On arrive à faire régresser la tumeur, mais certains patients présentent des troubles de la mémoire ou de l'attention quelques années après le traitement. Ce retentissement sur les fonctions intellectuelles est mesurable dans les tests neuropsychologiques que nous effectuons lors du suivi des patients, et souvent visible à l'IRM par des modifications du tissu cérébral (photo 1).
DR : C'est aussi le cas des patients qui ont reçu un traitement pour un gliome cérébral. Le Dr Soussain et moi-même sommes confrontés à ces complications fâcheuses des traitements dans notre pratique quotidienne au sein de nos services respectifs. Nous avons donc voulu consacrer du temps à la mise en place d'un groupe de recherche dédié à cette problématique en complément du développement de nouveaux traitements antitumoraux.

Quels sont vos résultats, vos découvertes, vos perspectives de recherche ?

CS : Nous commençons tout juste les expérimentations, nous terminons la phase de mise au point et il est encore trop tôt pour donner des résultats. Les expériences sont longues car il faut observer les souris jusqu'à 15 mois après l'irradiation.
DR : Avant de nous lancer dans nos expérimentations, il a fallu revoir en détail tous les travaux existant dans la littérature scientifique afin de connaître l'état de l'art dans ce domaine encore trop délaissé et orienter au mieux notre recherche. Nous avons pris contact et rencontré des scientifiques qui, comme nous, travaillent un peu partout dans le monde sur la problématique des modifications cérébrales par les rayons X.
CS : Ce gros travail de synthèse préliminaire nous a permis d'écrire un article qui va paraître prochainement dans la prestigieuse revue scientifique anglaise « The Lancet », gage de reconnaissance de la qualité de notre vision du sujet ; c'est un point de départ très encourageant.

Depuis combien de temps conduisez- vous cette recherche et dans quel laboratoire ?
Photo 2 : photographie microscopique d'une région du cortex cérébral d'une souris transgénique dont les cellules qui entourent les vaisseaux ont été manipulées pour apparaître spontanément fluorescentes.


angiogenèse


Nous concentrons actuellement nos efforts pour mettre au point un modèle animal pour nos études. Il s'agit d'une souris dont les vaisseaux cérébraux ont été, grâce à des manipulations génétiques, rendus artificiellement visibles (car colorés par la fluorescence) afin d'étudier les conséquences de la radiothérapie sur ces structures particulièrement sensibles et les cellules qui sont à proximité des vaisseaux (photo 2).
DR : C'est le Pr Jean-Yves Delattre qui nous a mis en rapport il y a deux ans, car il avait noté notre intérêt commun pour cette problématique. Il nous a fait confiance et ouvert son laboratoire au sein de l'UMR 975 de la Pitié-Salpêtrière, dirigée par le Dr Boris Zalc, en créant un groupe « Neurotoxicité » qui travaille bien sûr en lien étroit avec l'équipe de « Neuro-oncologie expérimentale » et aussi avec l'équipe « Développement oligodendrocytaire et interactions neurovasculaires » dirigée par le Dr Jean-Léon Thomas. A coté de nos activités cliniques, nous consacrons tous les deux la moitié de notre temps à nos recherches au laboratoire. En tant que médecin militaire, je suis détaché à mi- temps par le Service de Santé des Armées car cette thématique a aussi pour application la protection à la menace nucléaire. Le Dr Soussain bénéficie aussi d'un détachement du centre anticancéreux René Huguenin. L'équipe devrait s'étoffer à mesure que les résultats arriveront.

Une découverte récente sur un projet soutenu par J'ARTC : IDH1,
UN NOUVEAU MARQUEUR DIAGNOSTIQUE ET PRONOSTIQUE DANS LES GLIOMES

Le Dr Xiao-Wei WANG, médecin radiothérapeute, a effectué ses études de médecine en Chine et réalise actuellement un Doctorat de Sciences en Cancérologie sur les tumeurs cérébrales au sein du laboratoire du Pr Jean-Yves Delattre de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Le Dr Marianne LABUSSIERE est pharmacien diplômé de la Faculté de Pharmacie de Nancy et a réalisé sa thèse de Sciences à la Faculté de Médecine de Nancy, elle est actuellement en postdoctorat. Toutes deux sont arrivées récemment au laboratoire et sont financées par l'ARTC. Elles travaillent ensemble sur le même sujet de recherche, l'étude de la mutation du gène IDH1 et ses conséquences au niveau de la biologie des tumeurs cérébrales. Il s'agit d'une recherche capitale afin de mieux comprendre le développement de ces tumeurs et, à terme, de proposer de nouveaux traitements. Leurs travaux originaux ont donné lieu à la publication au mois de septembre 2009 d'un article dans la fameuse revue américaine « Journal of Clinical Oncology


.Dr Xiao-Wei WANG

 

Dr Xiao-Wei WANG et Dr Marianne LABUSSIERE

 

Vos travaux de recherche portent sur le gène IDH1. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ?
ML : IDH1 est un gène qui code pour l'isocitrate déshydrogénase 1, une enzyme-clé qui joue un rôle fondamental dans la protection de toutes les cellules contre le stress oxydant. Toutes les cellules de l'organisme sont exposées à des stress contre lesquels elles doivent lutter pour survivre. L'enzyme IDH1 constitue l'un des mécanismes de défense majeurs des cellules. Cette enzyme permet de produire du NADPH, une molécule qui empêche les cellules de mourir quand elles sont exposées à un stress oxydant, comme les rayons ultra-violets, les rayons X... Mais les cellules, et notamment les cellules tumorales, utilisent ces mêmes mécanismes de défense pour résister à la mort cellulaire provoquée par la radiothérapie et la chimiothérapie.

Pourquoi ce projet est-il intéressant dans le cadre des tumeurs cérébrales ?
XWW : Les fonctions du gène IDH1 sont connues depuis les années 1980, mais ce n'est que très récemment (septembre 2008) qu'une équipe américaine a montré que le gène IDH1 pouvait être impliqué dans les gliomes et muter dans 12% des cas de glioblastomes, les tumeurs cérébrales primitives les plus fréquentes et les plus agressives. D'autres équipes ont montré qu'on ne retrouvait pratiquement aucune mutation de IDH1 dans les tumeurs des autres organes (cancer de la prostate, leucémie). Les mutations de IDH1 semblent donc jouer un rôle important uniquement dans le développement des gliomes. C'est pourquoi nous avons décidé d'étudier son rôle en profondeur.

Avez-vous déjà des résultats ?
XWW : Oui. L'étude américaine citée précédemment n'avait été réalisée que sur une petite série de 22 glioblastomes, ce qui limite la portée des conclusions. Nous avons décidé de travailler sur une série d'échantillons tumoraux provenant d'un nombre de patients beaucoup plus important (856 patients) afin d'en préciser la fréquence et la répartition en fonction des différents types de tumeurs cérébrales. Nous avons trouvé un total de 290 mutations de IDH1, ce qui représente 33% des tumeurs. Un des points les plus intéressants est que les mutations de IDH1 sont plus fréquentes dans les tumeurs de bas grade que dans les tumeurs de haut grade de malignité.
Nous avons ensuite étudié l'impact de la mutation de IDH1 sur le pronostic des patients. Nos données montrent que les patients porteurs de la mutation de IDH1 ont un pronostic bien meilleur que les patients qui ne sont pas porteurs de la mutation. Il s'agit en somme d'une « bonne anomalie ». C'est la première fois qu'on identifie un facteur génétique qui influence autant le pronostic des patients. Ce sont des résultats très importants qui viennent d'être publiés dans un grand journal américain de cancérologie.

Comment expliquez-vous que la mutation de IDH1 améliore la survie des patients ?
XWW : Actuellement, aucune étude n'a apporté d'explication concrète. Une des hypothèses les plus solides est que la mutation du gène rend l'enzyme IDH1 inactive. Ainsi, il n'y aurait plus de production de NADPH, ce qui constituerait une brèche dans les défenses des cellules tumorales. Il est donc probable que les tumeurs porteuses de la mutation de IDH1 soient plus sensibles à la radiothérapie et à la chimiothérapie. Ceci expliquerait le meilleur pronostic des patients porteurs de la mutation.

Dans quel cadre se déroule le projet ?
ML : Ce projet constitue le travail de thèse du Dr Xiao-Wei Wang pour deux ou trois ans. Actuellement nous travaillons sur l'étude fonctionnelle de la mutation, c'est-à-dire l'étude des conséquences biologiques au niveau de la cellule de la présence ou non d'une telle mutation. Pour réaliser cette partie du travail, nous faisons exprimer les formes normales ou mutées du gène de IDH1 dans les lignées cellulaires de gliomes. Nous espérons ainsi découvrir l'impact de la mutation IDH1 sur la mort cellulaire et sur la prolifération des cellules traitées par chimio- et radiothérapie. Ce travail se prolongera ensuite sur des modèles animaux porteurs de ces lignées de cellules afin de comparer le développement de la tumeur et la réponse au traitement en fonction de la présence ou non de la mutation de IDH1.

Quelles sont les perspectives de ces travaux ?
ML : A l'avenir, la mutation d'IDH1 pourrait être utilisée comme marqueur diagnostique, par exemple, afin de mieux identifier les gliomes de bas grade de malignité des gliomes malins parfois difficiles à distinguer par les neuropathologistes sur la seule base de leur microscope.
De plus, la mutation pourrait aussi être un marqueur pronostique. Dans notre étude, nous avons montré dans certains sous-groupes de tumeurs que l'espérance de vie était multipliée par trois pour les patients IDH1 muté par rapport aux patients ayant un gène IDH1 non muté.
Enfin, si nos travaux montrent que la mutation de IDH 1 est un facteur de radio- et de chimiosensibilité, nous envisageons de développer un traitement qui serait un inhibiteur spécifique de IDH1 qui, associé aux traitements standards (radiothérapie, chimiothérapie), pourrait permettre d'améliorer leur efficacité.
La mutation de IDH1 constitue donc un facteur extrêmement prometteur tant sur le plan diagnostique que thérapeutique pour les patients atteints de gliome.
ML & XWW : Pour conclure, nous souhaitons remercier tout particulièrement les membres et les donateurs de l'ARTC pour le soutien financier qu'ils nous apportent et sans lesquels ces travaux' de recherche ne pourraient être réalisés.

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