15/09/2018
GFME, lettre de l'ARTC 12/2007

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La lettre de l'ARTC, décembre 2007

 

Pr Delattre La Salpêtrière
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Une video du Professeur Jean-Yves Delattre chef de service neuro-oncologie Hôpital de La Salpêtrière Paris

Les grands progrès en neuro-oncologie

Interview du Professeur Jean-Yves Delattre

par Monique Haillant

Quels sont pour vous les changements les plus marquants, les plus importants, en Neuro-Oncologie depuis que vous travaillez dans ce domaine ?
De très importants changements sont survenus en Neuro-Oncologie depuis 1985, date à laquelle j'ai fait la rencontre du Pr Michel Poisson, pionnier de la discipline en France, qui m'a convaincu de me consacrer à cette spécialité. Les changements ont porté à la fois sur le diagnostic et sur le traitement des tumeurs cérébrales.

Commençons par les changements dans le domaine du diagnostic.
Au niveau radiologique, le développement de l'IRM et de nouvelles techniques comme la spectroscopie IRM nous permet actuellement de mieux prédire la nature de la tumeur en analysant sa composition chimique. Au niveau biologique, certaines des altérations moléculaires qui sont à l'origine de ces tumeurs et de leur évolution sont maintenant bien identifiées. Nous avons nous-mêmes par nos travaux et grâce au soutien de l'ARTC contribué à ces progrès dans la connaissance des tumeurs cérébrales. Par exemple nous sommes maintenant en mesure (avec le partenariat de la Ligue contre le Cancer) d'obtenir dans les deux semaines suivant l'intervention chirurgicale une véritable « carte d'identité des altérations moléculaires » de la tumeur pour chaque patient opéré sur notre groupe hospitalier. Cette «carte d'identité» qui recense toutes les anomalies chromosomiques avec une grande précision vient compléter l'examen microscopique et se révèle extrêmement précieuse pour prévoir l'évolution de la tumeur et guider le choix des traitements.

Et au niveau de l’intervention chirurgicale ?

L'IRM fonctionnelle permet actuellement de réaliser un bilan préopératoire plus approfondi, en précisant les relations fines entre la tumeur et les structures vitales du cerveau qui contrôlent, par exemple, le langage ou la motricité (IRM fonctionnelle). Nous pouvons ainsi mieux préparer le geste chirurgical. Pendant l'intervention, les techniques de neuronavigation, l'utilisation du microscope opératoire et les méthodes de stimulation électrique ont beaucoup réduit les risques de séquelles postopératoires. Le chirurgien peut en effet délimiter très précisément et en temps réel les zones du cerveau qu'il faut préserver autour de la tumeur qu'il est en train d'enlever. Dans certains cas, le patient est même réveillé pendant l'intervention (il ne souffre pas car les antalgiques sont maintenus) et le chirurgien peut alors vérifier qu'il respecte effectivement les zones du langage ou des zones importantes pour les fonctions cognitives. Ainsi, des tumeurs considérées il y a quinze ans comme inopérables peuvent aujourd'hui être enlevées dans de très bonnes conditions de sécurité.

Parlez-nous maintenant des changements dans les traitements des tumeurs cérébrales. On connaît la radiothérapie depuis longtemps, son efficacité et aussi ses effets néfastes. Y a-t-il des avancées dans ce domaine ?
En ce qui concerne la radiothérapie, les techniques d'irradiation conventionnelles se sont peu modifiées. Malgré certaines difficultés récemment notées dans les médias, nous ne devons pas oublier les énormes progrès obtenus en matière de balistique des rayonnements au cours des vingt dernières années. Les travaux réalisés dans les années 70 et 80 avaient permis d'identifier les schémas d'irradiation ayant le meilleur « index thérapeutique », c'est-à-dire la plus forte probabilité de détruire la tumeur et la plus faible probabilité d'induire une toxicité sur le tissu cérébral. Actuellement, la précision s'améliore, culminant avec la radiothérapie stéréotaxique (aussi appelée gamma-knife, radio chirurgie, cyberknife...) qui s'est considérablement développée. Ces techniques, dont la précision est de 1 à 2 mm, s'adressent à des tumeurs de petite taille, très bien délimitées. Les résultats sont particulièrement spectaculaires dans le traitement des métastases cérébrales mais le bénéfice est plus modeste pour les lésions moins bien circonscrites car plus infiltrantes, comme les gliomes, où il est impératif de conserver une bonne marge de sécurité d'environ 2 cm afin d'éradiquer des cellules tumorales situées à distance du foyer visible sur l'IRM.

Et les autres traitements ?
Les traitements médicaux, notamment la chimiothérapie, ne sont pas en reste. On a découvert qu'une nouvelle molécule, le témozolomide (Témodal) était efficace dans certains gliomes malins (tumeurs de haut grade de malignité), notamment quand la radiothérapie et la chimiothérapie étaient administrées en même temps. On s'est aussi aperçu, avec une certaine surprise, que même des gliomes réputés moins agressifs, désignés sous le terme de gliomes de bas grade pouvaient régresser sous chimiothérapie, à condition toutefois de se donner du temps (parfois la réponse n'est visible qu'au bout d'un à deux ans). La présence de certaines modifications intéressant les chromosomes 1 et 19 dans la tumeur (détectée par la « carte d'identité moléculaire ») accroît notablement les chances de succès de la chimiothérapie. A l'heure actuelle, de nouvelles thérapies dites « ciblées » sont mises en oeuvre. Ces thérapies différentes des chimiothérapies classiques ont pour principale caractéristique d'attaquer la tumeur au niveau de ses points faibles. On parle de « thérapies intelligentes ». Par exemple, certains médicaments vont contrer les facteurs de croissance (ou leur récepteur) que la tumeur fabrique en très grande quantité pour stimuler son développement, ou d'autres vont empêcher la tumeur de fabriquer ses propres vaisseaux sanguins, indispensables à sa croissance (traitement antiangiogénique). Ces traitements sont extrêmement prometteurs, surtout quand ils sont associés aux thérapies classiques.

Les résultats de la recherche donnent de l'espoir.
En regardant en arrière, je vois de nombreuses raisons d'espérer. Certes, la route est encore longue, elle est sans doute semée d'embûches et même de déceptions. Toutefois, réussir à terrasser ces maladies ne m'apparaît plus comme un pari fou mais comme un objectif à la portée des hommes. Si nous avons la chance de vivre ce moment, la pensée de toute notre équipe ira droit vers ces patients que nous avons aimés et dont la mémoire, bien blottie dans nos têtes, nous aura tant aidés à lutter.

Tumeur après traitement de Campto-Avastin
Tumeur après Campto-Avastin
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Mocktari

Le Dr Karima Mokhtari est anatomopathologiste et exerce depuis 1994 dans le laboratoire de neuropathologie Raymond Escourolle de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Elle est également membre de l'équipe de recherche INSERM U711. Elle fait partie des experts dont les compétences dans le domaine des tumeurs cérébrales sont régulièrement sollicitées par l'organisation européenne de recherche sur les traitements du cancer (EORTC). Elle assure le double contrôle des patients qui intèque le réseau POLA des patients avec oligogendrogliome anaplasique.

Qu'est-ce que l'anatomo-pathologie ?
L'anatomo-pathologie est une spécialité médicale dont le but est d'étudier les lésions cellulaires et tissulaires à l'origine des maladies. Dans le cas précis des tumeurs cérébrales, les prélèvements analysés intéressent le cerveau et sont obtenus à la suite d'interventions neurochirurgicales, d'où le terme de « neuropathologie » employé pour désigner cette sous-spécialité.

Comment se fait le diagnostic de la tumeur ?
En pratique, les prélèvements nous parviennent directement du bloc opératoire de neurochirurgie, au décours de l'intervention. Il peut s'agir d'un échantillon provenant d'une biopsie qui a été faite à visée diagnostique ou de la pièce opératoire quand il s'agit d'une résection de la tumeur cérébrale. Le médecin anatomopathologiste effectue dans un premier temps une analyse visuelle minutieuse du prélèvement. Il préparera ensuite le tissu prélevé dans une solution appelée « fixateur », préalable nécessaire pour l'examen au microscope. L'opération nécessite au minimum deux à trois jours avant que l'analyse microscopique soit possible. Le délai pour le diagnostic peut parfois être rallongé dans des cas difficiles qui nécessitent d'être précisés par des techniques complémentaires dites «immunohistochimiques » (anticorps spécifiques utilisés comme marqueurs). Le médecin anatomopathologiste dicte alors un compte-rendu dans lequel sont décrites avec précision les caractéristiques tissulaires de la tumeur. Il donne pour conclure le nom de la tumeur en cause et détermine son grade de malignité en appliquant les critères définis par la classification
internationale des tumeurs cérébrales de l'OMS. C'est ce diagnostic histologique qui servira aux médecins pour définir le traitement.


Avez-vous un contact avec le patient ?
Pas de façon directe. Cependant, avant l'intervention chirurgicale, nous rencontrons régulièrement les neurochirurgiens pour discuter avec eux des dossiers médicaux de patients porteurs d'une tumeur cérébrale. Il arrive dans certaines circonstances que les neurochirurgiens nous demandent, au cours de l'intervention, de nous prononcer sur un prélèvement afin de leur permettre, en fonction du type de tumeur suspectée sur cet examen préliminaire (appelé « extemporané »), de compléter ou non l'intervention chirurgicale. Nous participons aussi à la réunion hebdomadaire de concertation pluridisciplinaire (staff) à laquelle assistent tous les neurologues, neurochirurgiens, neuroradiologues, radiothérapeutes et neuropathologistes. C'est là que sont discutées les décisions thérapeutiques concernant les patients porteurs de tumeur cérébrale et les conclusions anatomopathologiques dans cette discussion sont déterminantes.

De quelle manière participez-vous à la recherche sur les tumeurs cérébrales ?

Le rôle du neuropathologiste dans la recherche sur les tumeurs cérébrales est central. Dès l'intervention effectuée, je sélectionne une partie de la tumeur qui sera congelée et conservée pour les recherches ultérieures. Ainsi, nous constituons une collection d'échantillons appelée « tumorothèque » qui est extrêmement précieuse et sert de base à toutes nos recherches. Par exemple, quand un nouveau gène impliqué dans le développement des cancers est découvert, nous l'étudions plus spécifiquement dans les tumeurs cérébrales et je confronte les résultats aux données neuropathologiques et cliniques afin de voir s'il a une valeur diagnostique, pronostique et s'il peut éventuellement constituer une cible intéressante pour les futurs traitements. Par ailleurs, en recherche clinique, j'interviens également en tant qu'expert dans les essais thérapeutiques. En effet, les résultats de ces essais nécessitent pour être correctement interprétés que tous les diagnostics établis par les neuropathologistes des différents hôpitaux ayant participé à l'étude soient confirmés de manière centralisée par un unique expert. Cette relecture assure une homogénéité du diagnostic, indispensable pour la validation des protocoles.

Biopsie : image d'un gliome malin
Gliome malin

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