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Le Recensement National des Tumeurs Primitives du Système Nerveux Central : un projet soutenu par l’ARTC Le Dr Luc Bauchet est neurochirurgien au CHU de Montpellier.Il coordonne le recensement national des tumeurs du système nerveux central. L'ARTC lui a accordé son soutien dans cette entreprise ambitieuse. Il répond à nos questions

Docteur Luc Bauchet, pouvez-vous nous présenter votre projet ?
Le Recensement national concerne l'ensemble des tumeurs primitives du système nerveux central, c'est-à-dire qui touchent le cerveau, la moelle épinière et ses enveloppes. Il s'agit d'un travail ambitieux impliquant la collaboration au plan national de la plupart des neurochirurgiens, des anatomopathologistes (qui recueillent les tumeurs et en font le diagnostic) et des neuro-oncologues prenant en charge les patients atteints de tumeurs primitives du système nerveux central en France. Ce recensement systématique n'avait jamais été entrepris à cette échelle dans notre pays.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples des retombées de votre projet ?
Par exemple : la possibilité d'effectuer des recherches épidémiologiques, c'est-à-dire mieux connaître le nombre de cas de chacune des tumeurs du système nerveux, et cela dans chacune de nos régions, afin de surveiller leur fréquence et leur évolution, comparer éventuellement ces taux en fonction de différents facteurs d'exposition ; construire une base nationale de données qui pourrait aider à la réalisation de projets de recherche clinique ou transrationnelle à grande échelle ; enfin réaliser des études d'observation et de suivi sur les pratiques médicales en France et ainsi aider à l'harmonisation de la prise en charge des patients.
Quelle sera la durée de ce projet ?
Ce travail est nécessairement long, besogneux, procède par étapes, et nécessite la collaboration de tous les intervenants dans le domaine de la Neuro-Oncologie. A titre d'exemple, le registre américain - le CITRUS - initié en 1992, sous l'impulsion d'une association de patients, a commencé par un travail de faisabilité, puis a recensé des données sur seulement quatre états, puis dans un deuxième temps a étendu son domaine d'influence. Il a fallu au CBTRUS un délai de sept ans avant de publier ses premiers résultats importants. En 2006, le CBTRUS a publié des résultats concernant les années 1998-2002 sur dix-huit états. Notre Recensement national a fait suite aussi à une étude de faisabilité et a reçu le soutien des principales sociétés savantes, en particulier l'Association des neuro-oncologues d'expression française (ANOCEF), la Société Française de Neurochirurgie et la Société Française de Neuropathologie. Il s'agit donc d'un projet de longue haleine qui vise à se perpétuer.
Où en est-on ?
En quatre ans d'existence, le Recensement national des TPSNC a déjà enregistré et recensé plus de 16 000 cas de tumeurs cérébrales en France. Les renseignements proviennent de la quasi-totalité des services de neurochirurgie français. Ceci correspond d'une part à la mise en place d'un observatoire français des tumeurs cérébrales, et d'autre part a permis la naissance de la première base de données (clinique, radiologique et anatomopathologique) en Europe. Ces résultats ont été publiés dans la revue « Journal of Neuro-Oncologie » en 2007.
D'une manière très résumée, les tumeurs cérébrales touchent toutes les classes d'âge avec, chez l'enfant, une prédominance pour les astrocytomes pilocytiques et les médulloblastomes. Chez l'adulte jeune, ce sont les oligodendrogliomes qui sont les tumeurs les plus fréquentes ; après 50 ans, ce sont les gliomes de haut grade qui prédominent, affectant un peu plus les hommes que les femmes, et les méningiomes qui atteignent presque trois fois plus les femmes que les hommes. Les neurinomes, qu'ils soient crâniens ou rachidiens, et les lymphomes cérébraux primitifs sont des tumeurs qui surviennent moins fréquemment.
Comment cette recherché est-elle financée ?
Ce travail a pu débuter grâce à un soutien financier d'associations de patients : la Ligue Nationale Contre le Cancer, l'ARTC et l'ARTC-Sud que je remercie vivement et aussi I'ANOCEF, le Département de l'Hérault, le Laboratoire Schering Plough ; l'Institut National du Cancer a contribué pour sa part en finançant une grande étude sur la prise en charge des glioblastomes en France. Des moyens financiers sont cependant nécessaires pour permettre la poursuite de ce travail et sa pérennisation.
La radiothérapie, le meilleur traitement, et de loin sur les tumeurs cérébrales
Le Dr Jean-Marc Simon est Praticien Hospitalier dans le Service de Radiothérapie du Pr Mazeron à l'Hôpital Pitié-Salpêtrière. Il travaille depuis de nombreuses années dans le domaine des tumeurs cérébrales et développe des projets de recherche visant à rendre les tumeurs cérébrales plus sensibles aux effets de la radiothérapie. Il est également un expert reconnu dans le contrôle de la qualité de la radiothérapie.

1 - Quelle est la place de la radiothérapie dans la prise en charge des tumeurs cérébrales ?
La prise en charge thérapeutique des patients atteints de tumeur cérébrale est pluridisciplinaire, et fait intervenir des neuro-oncologues, des neurochirurgiens, des neuro-anatomo-pathologistes, des neuroradiologues et des radiothérapeutes. C'est la confrontation de ces différents spécialistes au cas par cas qui permet de proposer le projet thérapeutique le plus adapté à la situation clinique du patient. Nous avons ainsi à la Salpêtrière une réunion hebdomadaire où nous discutons tous ensemble de la meilleure stratégie thérapeutique à proposer pour chaque patient. La radiothérapie a une place primordiale dans ce projet thérapeutique, qu'elle intervienne après la chirurgie ou qu'elle soit exclusive. Mais son impact peut être différent selon la nature de la tumeur cérébrale ou l'âge du patient. Il a ainsi été prouvé par des essais thérapeutiques que la radiothérapie permettait de doubler l'espérance de vie d'un patient souffrant d'un gliome de haut grade. En ce qui concerne les patients atteints de gliome de bas grade, la radiothérapie a montré qu'elle peut agir sur la durée de rémission, mais le moment le plus adéquat où cette radiothérapie doit être délivrée reste discuté et fait l'objet de recherches cliniques. Il faut savoir aussi que la radiothérapie permet d'améliorer la qualité de vie des patients, notamment quand les gliomes de bas grade sont responsables de crises d'épilepsie fréquentes. Enfin, dans le cas particulier des patients âgés souffrant de gliomes de haut grade, le bénéfice de la radiothérapie vient d'être démontré par un essai thérapeutique au niveau national dans le cadre de l'ANOCEF (Association de Neuro-Oncologues d'Expression Française), et dirigé par l'équipe du Pr Delattre. Cet essai a montré que la radiothérapie permet d'améliorer la survie et la qualité de vie des patients âgés de plus de 70 ans atteints d'un gliome de haut grade.
2 - Pouvez-vous nous expliquer simplement comment agissent les rayons pour traiter les tumeurs ?
La radiothérapie consiste à utiliser des rayons X de haute énergie, délivrés par un accélérateur linéaire pour détruire les cellules tumorales. La radiothérapie est effectuée au cours de séances de traitement qui sont quotidiennes et qui s'étalent sur plusieurs semaines. L'effet biologique est complexe, mais schématiquement, les rayons traversent les tissus, atteignent les noyaux des cellules tumorales où ils créent des lésions, des cassures, au niveau de la molécule d'ADN. Ces lésions de l'ADN entravent le fonctionnement normal de la cellule tumorale, ce qui aboutit à la mort cellulaire. Ces rayons traversent tous les tissus, et provoquent des lésions dans toutes les cellules qu'ils traversent. En fait, la plupart des cellules ont une certaine capacité à réparer ces lésions. Les cellules, en devenant tumorales, perdent une partie de leur capacité de réparation, ce qui fait que la radiothérapie est bien plus efficace contre les cellules tumorales que contre les cellules saines : c'est ce que l'on appelle l'effet différentiel entre les tissus sains et les tissus tumoraux. Plus cet effet différentiel est important et plus on peut utiliser la radiothérapie avec efficacité et sécurité.
3 - Y a-t-il des particularités de la radiothérapie propres aux tumeurs cérébrales ?
La première particularité est biologique : l'effet différentiel entre le tissu sain cérébral et le tissu tumoral est plus faible que dans d'autres régions de l'organisme, ce qui fait que la différence entre la dose efficace sur la tumeur et la dose toxique pour les tissus sains est assez étroite. Il existe même des structures comme le tronc cérébral ou les nerfs optiques qui ne tolèrent qu'un niveau de dose relativement limité. La deuxième particularité est anatomique : les tumeurs cérébrales infiltrent souvent le tissu sain avoisinant, ce qui nécessite de prendre une certaine marge de sécurité lorsque l'on détermine l'orientation et la taille des faisceaux de radiothérapie. La détermination des limites des faisceaux de radiothérapie dépend donc de l'ensemble de ces considérations.
4 - Comment déterminez-vous ces faisceaux de radiothérapie ?
Ces dernières années, la radiothérapie a bénéficié des progrès techniques de l'imagerie, scanner et IRM, que nous utilisons dorénavant pour la très grande précision que ces images apportent dans le repérage des tumeurs cérébrales. Au moment du centrage, qui est maintenant devenu un scanner de « repérage », nous commençons par confectionner un masque en matière plastique qui va se placer sur la tête du patient et qui va être fixé sur la table du scanner. Ce masque sera utilisé pour toutes les séances de radiothérapie, ainsi nous sommes certains que la tête sera toujours dans la même position, et qu'elle ne risque pas de bouger pendant la séance. C'est sur ce masque que nous dessinons les repères pour mettre en place les faisceaux. Cette sécurité nous permet d'avoir une plus grande précision pour cibler la tumeur, ou la zone opérée. Une fois le masque réalisé, nous effectuons un scanner dans la position où aura lieu le traitement. Nous utilisons directement ces images sur de puissants ordinateurs, souvent fusionnées avec celles d'une IRM faite au moment du diagnostic, pour faire une étude prévisionnelle de la radiothérapie avant même de la réaliser. Grâce à cette simulation virtuelle, nous parvenons à mieux protéger les organes sains et à mieux traiter la tumeur. Nous bénéficions également des progrès techniques industriels, et les appareils de radiothérapie qui sont maintenant à notre disposition sont de très haute technologie et permettent d'améliorer encore la qualité du traitement. Ces différents progrès techniques nous permettent dorénavant d'effectuer des radiothérapies très sélectives des tumeurs avec une très grande précision.
5 - Quels sont les effets indésirables d’une radiothérapie cérébrale et peut-on en évaluer le risque ?
Il faut distinguer deux types d'effets indésirables. Les effets secondaires immédiats peuvent apparaître au cours de la radiothérapie et se poursuivre dans les semaines qui suivent la fin du traitement. Il s'agit le plus souvent d'une réaction inflammatoire qui majore l'oedème présent autour de la tumeur, et qui se manifeste par des maux de tête, voire des nausées ou rarement des vomissements. Cet effet secondaire cède assez facilement à un traitement anti-inflammatoire comme les corticoïdes à faibles doses. Un autre effet précoce, pratiquement obligatoire, est la chute des cheveux qui est le plus souvent partielle et toujours transitoire. Les effets secondaires tardifs sont plus gênants. Ils surviennent habituellement quelques mois ou années après le traitement et se manifestent essentiellement par des troubles de la mémoire de degré très variable mais qui peuvent chez certains patients être invalidants. Heureusement, ces effets tardifs sont inconstants et les protocoles sont adaptés pour réduire au maximum ce risque en limitant autant que possible l'irradiation du tissu cérébral sain, en utilisant des petites doses de rayons à chaque séance, et en adaptant la dose totale de la radiothérapie à la situation. C'est aussi à cause de ces effets indésirables sur les tissus sains que la radiothérapie ne peut pas être réutilisée en cas de récidive de la tumeur.
6 - Et la chimiothérapie ?
La chimiothérapie des tumeurs cérébrales s'est beaucoup développée depuis ces dernières années. La recherche clinique a permis d'améliorer la prise en charge des tumeurs gliales de haut grade, comme les glioblastomes. Nous savons maintenant que l'utilisation conjointe du témozolomide (nom commercial : Témodal) pendant la radiothérapie, suivie d'un traitement d'entretien avec ce médicament pendant plusieurs mois, permet d'améliorer l'efficacité de la radiothérapie. La recherche se poursuit, et nous aurons probablement d'autres possibilités dans les années qui viennent. D'autre part, plusieurs sortes de chimiothérapie peuvent être utilisées en cas de rechute, contrairement à la radiothérapie.
7 - On parle beaucoup dans les médias de patients qui ont été sur-irradiés. Comment cela a-t-il pu se produire ?
Il y a eu deux accidents de radiothérapie très graves qui ont été découverts en 2007. Celui survenu au Centre Hospitalier d'Epinal est le plus important jamais enregistré en France. Au CHU de Toulouse, ce sont 145 patients qui ont été sur-irradiés au cours d'une radiothérapie intracérébrale réalisée en conditions stéréotaxiques en une séance unique, avec des mini-faisceaux. Ces deux accidents ont des causes totalement différentes, mais ils sont dus à des dysfonctionnements qui n'auraient jamais dû se produire. A Toulouse, c'est l'appareil de radiothérapie qui a été mal paramétré au moment de sa mise en service. A Epinal, il y a eu une chaîne de dysfonctionnements à l'origine de plusieurs types d'erreurs. Une erreur dans le programme informatique qui était utilisé pour calculer la dose délivrée par l'appareil de radiothérapie, a été à l'origine d'une surexposition de 3% à 7% pour près de 5000 patients traités entre 1987 et 2000. Puis environ 400 patients traités pour un cancer de la prostate ont reçu une dose supplémentaire de 8% à 10% entre 2000 et 2006, en raison de la non-prise en compte de la dose apportée par des contrôles radiographiques effectués avec l'appareil de traitement avant chaque séance. Enfin, 24 patients ont été très fortement sur-irradiés en raison d'une mauvaise manipulation du logiciel utilisé pour la planification de la radiothérapie entre 2004 et 2005. Ces patients ont reçu plus de 20% par rapport à la dose prescrite, et certains d'entre eux ont été grièvement blessés.
8 - Quelles sont les précautions à prendre pour éviter ce danger ?
Ces accidents sont exceptionnels. La radiothérapie est un traitement sûr. Tous les services de radiothérapie ont mis en place depuis très longtemps des contrôles internes aux différents points-clés du processus qui aboutit au traitement du patient. Ces contrôles sont au niveau de la décision de la radiothérapie, de la simulation des faisceaux, de l'adéquation entre la dose reçue par le volume cible avec la meilleure protection possible des tissus sains, du calcul de la dose apportée par chaque faisceau, et du bon positionnement du patient sous l'appareil de radiothérapie. Un nouveau contrôle va devenir obligatoire : mesurer la dose réellement reçue par le patient, ce qu'on appelle la dosimétrie in vivo. Ce sera l'ultime certitude qu'il n'y a pas eu de dysfonctionnement ou d'erreur dans le calcul de la dose. La radiothérapie est une médecine de haute technologie, qui exige un haut niveau de sûreté, au service du patient.
9 - Pouvez-vous nous parler de vos recherches concernant les tumeurs cérébrales malignes ?
Nous cherchons à améliorer l'efficacité de la radiothérapie sans augmenter la toxicité sur le tissu cérébral sain. Nous cherchons à développer d'autres médicaments anticancéreux à utiliser avant, pendant ou après la radiothérapie. D'autres pistes sont explorées, utilisant des thérapeutiques ciblant les cellules tumorales, ou leur environnement, comme les antiangiogéniques par exemple, qui luttent contre le développement des vaisseaux sanguins nourriciers des tumeurs, ou pour contrer l'hypoxie (manque d’oxygène) des tumeurs, qui est un facteur de résistance à la radiothérapie.
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