15/09/2018
GFME, lettre de l'ARTC 05/2015
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La lettre de l'ARTC, Mai 2015


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LE DR CAROLINE DEHAIS est praticienne hospitalière en neuro-oncologie à l'hôpital de la Salpêtrière. Elle coordonne le réseau de référence national des tumeurs' oligodendrogliales malignes appelé  POLA, récemment labellisé par l'lnstitut National du Cancer (INCa). Son projet de recherche clinique, intitulé AGIR, vient d'être retenu pour un financement public parle programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) à l'issue d'un appel d'offre très relevé. Elle accepté de répondre aux questions de l'ARTC.

Dr Dehais

Docteur Caroline Dehais, neuro-oncologue à La Salpêtrière

Essai clinique AGIR : Une thérapie ciblée pour les gliomes avec mutation IDH


Qu'est-ce que l'essai AGIR ?

I.'essai clinique AGIR propose de traiter par azacitidine, commercialisée sous le nom de Vidaza“'”, les patients souffrant d'un sous-groupe de gliome ayant la particularité de porter une mutation du gène IDH, en situation d'échec thérapeutique. ll s'agit d'un essai clinique de phase Il, ce qui signifie que tous les patients participant à l'essai recevront le traitement par Vidaza®. l.'objectif principal sera de montrer que ce médicament a un effet positif sur I'évolution des gliomes. C'est un essai national qui se déroulera dans trois centres (Lyon sous la coordination du Dr François Ducray, Marseille sous la coordination du Pr Olivier Chinot et Paris sous la coordination du Pr Marc Sanson et de moi-même). Mais les patients suivis par d'autres équipes pourront être reçus par l'un de ces coordonnateurs. Le déroulement de cet essai est possible car nous avons obtenu à la fois un financement public par le Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC) et une délivrance gratuite du médicament par le laboratoire Celgene qui le produit.

Qui sont les patients concernés ?
Très précisément, l'essai s'adresse aux patients qui présentent un gliome de bas grade (grade Il) ou de grade de malignité intermédiaire (grade III), avec la particularité que leur tumeur soit porteuse d'une mutation des gènes IDH. L'essai est réservé aux patients en rechute, c'est-à-dire à ceux qui auront déjà été traités au préalable par radiothérapie et chimiothérapie (par témozolomide ou PCV par exemple) et chez lesquels une augmentation du volume de la tumeur serait observée lors du suivi radiologique par IRM cérébrale.

Pourquoi cet intérêt pour les gliomes mutés sur le gène IDH ?

La mutation des gènes IDH dans les gliomes a été-décrite pour la première fois en 2008. Très rapidement, cette découverte s'est révélée essentielle pour une meilleure compréhension de l'origine des gliomes. Elle est très fréquente dans les gliomes de grade Il et III (environ 70 % des cas). Elle peut être visualisée facilement à l'examen au microscope d'un prélèvement de la tumeur et sa recherche est désormais systématique lors de tout examen histologique. Ensuite, elle apparaît très précocement dans le développement des gliomes. Ainsi, la mutation du gène IDH pourrait jouer un rôle fondamental dans la transformation d'une cellule normale en cellule tumorale. Enfin, les conséquences au sein des cellules de cette mutation sont de mieux en mieux connues : la protéine produite parle gène IDH normal qui intervient dans la production énergétique cellulaire, change de fonction Iorsqu'eIle est mutée et se met à produire en excès une molécule appelée 2-hydroxy-glutarate. Ce produit va alors s'accumuler dans les cellules et modifier la structure chimique de l'ADN lui donnant une composition dite « hyperméthylée ›› qui va perturber le fonctionnement et l'expression normale des gènes cellulaires, et favoriser le développement tumoral.


IDH

Pourquoi un traitement par azacitidine ?



L'azacitidine est employée en chimiothérapie. Elle a des propriétés déméthylantes, c'est-à-dire qu'elle va corriger les conséquences du gène IDH muté, restituer ainsi la composition normale de l'ADN et permettre le fonctionnement normal des cellules. L'azacitidine a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans certaines formes de maladies du sang comme certaines leucémies aiguës, qui sont des cancers où la mutation des gènes IDH est fréquente, comme dans les gliomes. Les essais réalisés en hématologie permettent aussi de connaître les effets secondaires potentiels qui sont essentiellement une chute des plaquettes ou des globules blancs et des effets sur le tube digestif (nausées, vomissements).

Comment va se dérouler cet essai ?

L'essai AGIR devrait débuter en 2015 dans les centres français : les patients qui accepteront d'y participer se verront proposer le traitement par Vidaza@ pour une durée minimale de six mois. Le traitement sera administré par des injections sous-cutanées, une fois par jour, pendant sept jours consécutifs, tous les vingt-huit jours (ainsi, ils ne recevront pas de traitement pendant trois semaines). Une visite auprès du médecin aura lieu une fois par mois, des examens sanguins seront régulièrement réalisés ainsi qu'une IRM cérébrale tous les deux mois. Nous espérons pouvoir traiter 55 patients sur une période de deux ans.

Quels sont les effets attendus ?

Ce que nous espérons comme résultat (l'étude serait alors considérée comme positive), c'est au minimum l'absence d'augmentation du volume de la tumeur et/ou des prises de contraste sur le suivi par IRM après six mois de traitement. Ce délai nous apparaît comme un délai minimal compte tenu du mécanisme d'action de l'azacitidine : son effet sur la composition de l'ADN est lent et la restauration du fonctionnement normal des gènes sous traitement va nécessiter plusieurs mois de mise en contact avec le produit.

Quelles sont les perspectives ?

En moins de dix ans, de formidables progrès ont été faits entre la mise en évidence d'une mutation nouvelle mais fréquente dans les gliomes, la mutation des gènes IDH, puis l'identification de ses conséquences sur le fonctionnement des cellules et, désormais, l'émergence d'une thérapie ciblant ces conséquences. Si l'essai AGIR est positif, le traitement par Vidaza  pourra être proposé à un plus grand nombre de patients et comparé aux traitements déjà connus des gliomes dans un essai clinique de phase Ill. Cet essai pourra alors inclure davantage de centres, notamment dans le cadre du réseau POLA, qui se consacre aux soins et à la recherche sur les tumeurs oligodendrogliales. De plus, l'essai AGIR ouvre la voie des thérapies ciblant spécifiquement les conséquences des mutations IDH. Une réelle perspective est de pouvoir proposer, à l'avenir, un essai clinique avec un médicament bloquant spécifiquement la protéine IDH mutée. Ces médicaments sont en cours de développement et leurs premiers résultats dans les tumeurs hématologiques sont prometteurs. Ils pourraient être aussi proposés à nos patients dans le cadre d'un nouveau projet PHRC.
Pour conclure, je tiens à souligner le rôle essentiel du Pr Marc Sanson pour l'aboutissement de ce projet, tant par le travail de son équipe de recherche en neuro-oncologie expérimentale, soutenu par l'ARTC, que par sa pugnacité au service des patients, et du Dr jean-Pierre Bizzari, vice-président du secteur développement renouvèles molécules en oncologie pour le laboratoire Celgene, sans le soutien duquel l'essai n'aurait pu être envisagé.


M.Verreault

Docteur Maîté Verreault

L’efficacité thérapeutique d’un inhibiteur de MDM2 dans les glioblastomes présentant une amplification du gène MDM2
Le Docteur  Maïté Verreault  est originaire du Québec où elle a suivi un brillant parcours universitaire en biochimie et médecine expérimentale à l'Université Laval. Elle a ensuite complété sa thèse en biologie sur les glioblastomes à l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Elle poursuit sa carrière de chercheuse à Paris avec le groupe GlioTex dans l'équipe de neuro-oncologie expérimentale de l'lnstitut du Cerveau et de la Moelle Epinière depuis maintenant plus de trois ans. Quel est le rôle de MDM2 dans les glioblastomes ?
Au sein de la cellule, la protéine p53 est un acteur central dans la décision d'arrêter la croissance de la cellule et même d'activer sa mort. Dans une cellule saine, MDM2 empêche l'activité de la protéine p53 afin de permettre à la cellule de poursuivre sa croissance. Toutefois, certains signaux, tels que I'accumulation d'erreurs au niveau du code génétique, vont bloquer l'action inhibitrice de MDM2 sur p53, et p53 arrêtera donc la croissance cellulaire afin de permettre la réparation de ces erreurs. Si le nombre d'erreurs est trop important ou qu'elles ne peuvent être corrigées, p53 pourra alors programmer la mort de la cellule à haut risque de cancérisation. En somme, p53 est le gardien du génome. Dans certaines cellules cancéreuses, on retrouve une amplification du gène MDM2, c'est-à-dire une quantité anormalement élevée de MDM2 dans la cellule. Dans ce cas, p53 est séquestré et ne peut plus agir normalement. En conséquence, il n'y a plus d'arrêt de la prolifération cellulaire malgré l'accumulation d'anomaIies génétiques. ll y a alors apparition de cellules tumorales porteuses d'anomalies génétiques et, éventuellement, le développement et la progression de la tumeur.

Comment agit cet inhibiteur de MDM2 ?

L'inhibiteur empêche MDM2 de bloquer l'action de D53. Nous rétablissons donc l'activité de p53 afin d'activer la mort cellulaire dans les cellules où les anomalies génétiques se sont accumulées, c'est-à-dire dans la majorité des cellules tumorales.

Comment testez-vous l'activité de cet inhibiteur dans les glioblastomes ?

Au sein de l'équipe de recherche GlioTex (voir l'article rédigé par Ahmed Idbaih, publié le 14janvier 2015 sur www.artc.asso.fr), nous avons établi une banque de lignées cellulaires de glioblastomes. Ces cellules proviennent de tumeurs de patients, qui nous ont donné ces précieux échantillons au moment d'une biopsie ou d'une chirurgie. Nous avons mis ces fragments de tumeurs dans des « boîtes de Petri ›› pour obtenir des lignées cellulaires de glioblastomes que nous maintenons en culture dans un milieu de croissance spécial. Ces cultures sont donc représentatives des tumeurs desquelles elles sont issues. Nous pouvons alors, au moyen de tests en laboratoire, évaluer l'activité de composés thérapeutiques prometteurs comme l'inhibiteur de MDM2 dans ces modèles. Nous avons ainsi découvert que les lignées qui portent une amplification du gène MDM2 sont de 20 à 40 fois plus sensibles à l'inhibiteur que les autres lignées. Cela signifie qu'elles meurent lorsqu'elIes sont exposées ã des concentrations très faibles du composé. Par la suite, nous avons testé l'effet de l'inhibiteur chez des souris présentant un glioblastome. Pour ce faire, nous avons greffé une lignée cellulaire portant l'amplification de MDM2 dans le cerveau de souris, et nous avons traité les souris avec l'inhibiteur. Le traitement a considérablement ralenti la vitesse de croissance de la tumeur. Nous avons donc conclu que l'inhibiteur présente une efficacité thérapeutique remarquable dans nos modèles de glioblastomes portant l'amplification MDM2.


Culture

Cellules gliales en culture dans des boîtes de Pétri avec gélose



Quelles sont les retombées escomptées pour les patients ?

Ces résultats encourageants nous ont permis d'envisager des essais cliniques chez des patients atteints d'un glioblastome portant une amplification de MDM2. Selon nos travaux, un nombre important de patients atteints de glioblastome pourraient bénéficier de ce nouveau médicament. Les études cliniques permettront de valider l'efficacité de ce médicament chez l'homme et d'identifier avec plus de précision les patients qui en bénéficieraient le plus. Si les études cliniques s'avèrent concluantes, nous pensons que le composé sera intégré parmi les options de traitement à moyen terme.

Quels seraient alors les avantages de ce médicament en comparaison des traitements conventionnels ?
L'inhibiteur de MDM2 agit sur un des mécanismes mêmes qui entraînent la croissance tumorale, c'est-à-dire la poursuite dela croissance cellulaire en dépit de signaux qui normalement devraient activer la mort cellulaire. ll s'agit d'un traitement moléculaire ciblé ou de précision. Il est donc très spécifique aux cellules tumorales et épargne au maximum les cellules normales de l'organisme. Au contraire, le traitement conventionnel, qui consiste en la radiothérapie combinée à la chimiothérapie, est souvent associé à des effets indésirables car il agit également sur les cellules normales du corps. Quelles sont les prochaines étapes pour GlioTex ? Nous souhaitons poursuivre nos études sur l'efficacité de ce composé dans d'autres modèles de glioblastome pour aider à identifier les patients qui pourraient bénificier au mieux du traitement. Nous voulons également voir si l'inhibiteur de MDM2 pourrait être combiné avec d'autres composés spécifiques contre d'autres mécanismes impliqués dans la croissance tumorale. Cela permettrait d'augmenter d'autant plus l'efficacité de ce traitement prometteur. Ce travail a été initié grâce au soutien de l'Association pour la Recherche sur les Tumeurs Cérébrales (ARTC) et l'lnstitut du Cerveau et de la Moelle. Le projet GIioTex, dans son ensemble, est soutenu et  financé de manière importante parla Fondation ARC pour la Recherche sur le Cancer. Nos résultats sont également le fruit d'une étroite collaboration avec le laboratoire du docteur Keith Ligon au Dana-Farber Cancer Institute de Boston (USA)


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