11/03/2019
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Interview du Professeur Antoine Carpentier

Interview (2015) du Professeur Antoine Carpentier HÔPITAL SAINT-LOUIS 
1 avenue Claude-Vellefaux 75010 Paris


Pr Carpentier Antoine

Pr. Antoine F. Carpentier, Neuro-oncologue – Sur rendez-vous les Mardis et Jeudis après-Midi,
Prise de rendez-vous : téléphone 01 71 20 74 66 HÔPITAL SAINT-LOUIS 
1 avenue Claude-Vellefaux 75010 Paris

Sujet proposé et révision des textes par le Pr. Damien Ricard, Hôpital du Val-de-Grâce, Paris
Interview, recherche et traduction par Jean-Luc Devirieux, journaliste, Bordeaux
Vous retrouverez cet interview du Professeur Carpentier sur le site de l'Anocef : www.anocef.org

Introduction
Le Pr. Antoine F. Carpentier est neuro-oncologue clinicien et s'occupe de nombreux patients atteints de glioblastomes ou de métastases cérébrales. Depuis septembre 2007, il est chef du service de neurologie de l’hôpital Avicenne, AP-HP, à la faculté de l'université Paris XIII.
Par ailleurs, le Pr. Antoine Carpentier est Professeur des Universités et responsable d’une équipe de recherche au sein du laboratoire EA de recherche biochirurgicale à l'université Paris V et à l'Hôpital Européen Georges-Pompidou. Le Pr. Antoine Carpentier fait, surtout, de la recherche médicale et compte plus de 100 publications internationales référencées PubMed. Depuis 1999, il est investigateur principal (ou coordinateur) au niveau national dans plus de 14 protocoles en neuro-oncologie (essais cliniques de phase 1, phase 2 et phase 3).   Ses récents travaux se focalisent sur la qualité de vie des patients opérés de glioblastomes de haut grade en termes d'indépendance fonctionnelle sur le long terme. Sa toute dernière étude intitulée "Evolution of the Karnosky Performance Status throughout life in glioma patients", a attiré l'attention du comité éditorial de la Lettre de l'Anocef. J’ai contacté le Pr. Antoine Carpentier qui a spontanément accepté mon invitation d'interview.

-Jean-Luc Devirieux (JLD)

Pr. Antoine Carpentier, bonjour et merci de m'accorder cet entretien pour la lettre de l'Anocef. Pr. Carpentier, avant d'entrer dans le vif du sujet, je pose souvent cette première question à mes invités : "Comment êtes-vous passé de la médecine à la recherche ?"
-Pr. Antoine F. Carpentier (Pr. AC)
Monsieur Devirieux bonjour et merci de m'avoir invité. Pour répondre à votre question, dans mon cas je crois que c'est le contraire ! Je suis plutôt passé de la recherche à la médecine. Depuis tout jeune, j'ai toujours voulu faire de la recherche. J'ai fait mes études de médecine tout en faisant de la recherche en parallèle, d'abord au laboratoire dans le cadre d'un DEA puis d'une thèse de science et, de fil en aiguille, aujourd'hui je travaille encore dans un laboratoire de recherche...

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, comment est venue cette idée d’étude en particulier ?
-Pr. AC
En fait, pour évaluer l'évolution de l'état de santé des patients, il faut utiliser des critères de succès. Le plus classique d'entre eux, c'est la survie des patients, soit le temps écoulé entre la première prise de médicaments et, malheureusement, le décès du patient. Il en existe un deuxième qui concerne la survie sans progression, soit la période durant laquelle le patient est stable au niveau radiologique. Ces deux critères sont très importants dans les essais cliniques et servent de points de références dans les calculs statistiques (end-points en anglais – NdT). Il s'agit là de critères objectifs donc très solides, très fiables, ce qui explique pourquoi tout le monde s'en sert.Cependant, ces deux critères n'appréhendent pas toute la réalité du patient. Il existe un autre critère, tout aussi important à mon sens, et c'est celui qui permet d'évaluer la période durant laquelle le patient est indépendant. Par exemple, pendant combien de temps le patient est-il capable d'aller seul à l'hôpital ou de vivre seul chez lui. C'est le critère de l'indépendance fonctionnelle du patient.Curieusement, ce critère d'indépendance fonctionnelle a été très peu étudié dans le cadre d'essais cliniques et c'est cela qui nous a motivé pour conduire cette étude en particulier.
-JLD

Pr. Antoine Carpentier, vous abordez ma prochaine question. Partiez-vous d'un postulat ?
-Pr. AC
En fait non, nous n'avions pas d'hypothèse de départ. Comme je vous le disais, la littérature est peu diserte à ce sujet et nous n'avions aucune idée des rapports qui pouvaient exister entre l'indépendance fonctionnelle du patient et la progression radiologique. Intuitivement, il est tentant de dire que si le patient progresse au niveau radiologique, si sa tumeur récidive, le patient va perdre son indépendance fonctionnelle mais cela n'avait jamais été étudié dans le cadre d'essais cliniques pour les patients atteints de gliomes.Dans un premier temps, dans le cas des gliomes, je dirais que notre étude est novatrice car c'est, sauf erreur de ma part, une des toutes premières à se centrer sur cette question de l'indépendance fonctionnelle par rapport à la progression radiologique. Ensuite, parce qu'elle démontre que l'indépendance fonctionnelle dure plus longtemps que la période sans progression. Dans l'histoire d'un patient vient le jour où il reçoit un traitement initial : il est généralement toujours autonome. Puis, malheureusement, le patient récidive mais il reste encore autonome, son autonomie se prolonge longtemps après la première récidive.

-JLD
Pr. Carpentier, je crois que vous commencez à répondre à ma prochaine question. Voulez-vous résumer pour nos lecteurs les principaux résultats de votre étude ?
-Pr. AC
En résumé, je vois trois résultats principaux.
1) Le premier - l'autonomie n'est pas fortement corrélée à la première progression,
2) Le deuxième - un patient passe en moyenne les 3/4 de sa survie en étant autonome,
3) Le troisième - dans le cadre de notre étude, l'avastin a été la seule molécule capable d'améliorer de façon significative l'indépendance fonctionnelle des patients.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, votre étude nous rappelle qu'il existe trois échelles différentes d'évaluation de l'indépendance fonctionnelle :
1) Karnosky Performance Status (KPS),
2) modified Ranking Scale (mRS)et
3) Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG).

-JLD
Pourquoi autant d'intérêt pour cette échelle dite de Karnosky ? Pourquoi l'avoir choisie ?

-Pr. AC
En fait c'est une question d'historique. Je ne suis pas assez âgé pour vous expliquer pourquoi (!) mais depuis très longtemps, la grande majorité des neuro oncologues utilise la norme Karnosky pour l'évaluation de l'indépendance fonctionnelle chez les patients atteints de tumeurs cérébrales.Plus souvent qu'autrement, les cancérologues utilisent les autres échelles d'évaluation – dont l'ECOG – mais pour les neuro oncologues l'échelle de Karnosky est devenue un quasi standard parce que c'est une norme qui "parle" aux investigateurs médicaux et c'est pour cela que nous l'avons choisie.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, cette norme KPS évalue l'indépendance fonctionnelle mais quelles parts doit-on attribuer à la perte d'autonomie physique et à la perte de fonctions purement cognitives ?
-Pr. AC
Vous me posez là vraiment une excellente question, une question à la fois très pertinente mais à laquelle il m'est très difficile de répondre. La norme Karnosky évalue essentiellement l'indépendance dans la vie de tous les jours, les capacités et la mobilité physique du patient. De plus, si le patient est atteint de paralysie plus ou moins partielle, disons de la main droite ou s'il a perdu la parole, il ne sera plus capable de répondre aux questions qui lui seront posées.Le rôle du cerveau est plus subtil que la simple mobilité physique. Il y a bien sûr le langage mais aussi tout ce qui touche à l'affect comme les émotions, l'affection. Tout cela est mal appréhendé par l'échelle de Karnosky.Tout le monde est sensible au fait qu'il est important d'évaluer la qualité de vie du patient non seulement en termes de critères de mobilité physique mais aussi en termes d'autonomie cognitive, voire du moral du patient. De ce point de vue, les échelles de qualité de vie sont et seront de plus en plus importantes pour évaluer ces patients.Malheureusement, dans notre étude nous n'avons pas pu le faire, nos patients n'ayant pas répondu de façon systématique à un questionnaire sur la qualité de vie. C'est une étape pour l'avenir et il faudra le faire dans le cadre des futurs essais cliniques justement pour appréhender l'impact des traitements en fonction de ces critères cognitifs et affectifs.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, à vous écouter, il semblerait que la communauté médicale soit mal outillée pour évaluer la détérioration de l'autonomie de leurs patients. Ne pensez-vous pas qu'il soit urgent de mettre au point de nouveaux outils d'évaluation de l'indépendance fonctionnelle, qu'il faut concevoir de nouveaux tests qui permettraient de mieux cerner l'évolution des fonctions à la fois cognitives et affectives des patients traités pour des tumeurs cérébrales ?
-Pr. AC
Vous avez tout à fait raison et cela fait l'unanimité au sein de la communauté neuro oncologique. Il est bien évident que la seule progression radiologique est insuffisante parce qu'elle ne permet pas de quantifier tous les différents aspects de la perte d'autonomie d'un patient et donc laisse bon nombre de questions sans réponse. Pour répondre à la vôtre, il y a bien quelques outils qui se développent, comme par exemple l'échelle de la qualité de vie élaborée par l'EORTC, mais cela demeure insuffisant.Le premier problème qui se pose à nous est d'ordre méthodologique. Les critères, comme ceux de l'échelle Karnosky, sont des critères "durs", objectifs, comme par exemple la durée de la survie globale. Dès lors que ce sont les patients qui doivent remplir des questionnaires, on obtient des réponses subjectives. Si les résultats d'un essai clinique sont basés sur des réponses subjectives de patients, ces résultats seront plus exposés à la critique. Deuxièmement – en jargon médical, on parle de compliance (terme anglais : dans ce contexte, volonté ou capacité à être en conformité avec une directive ou une norme – NdT) – il est fréquent que les patients ne veulent pas, ne soient pas ou ne soient plus en mesure de répondre à ce type de questionnaires qui peuvent être longs et compliqués. Dès lors, vous vous retrouvez avec beaucoup de données manquantes.Comme je le disais, imaginons que le patient soit complètement démoralisé, qu'il soit paralysé de la main droite ou qu'il ait plus ou moins perdu la vue, il ne pourra pas répondre au questionnaire. A l'échelle d'un essai clinique, de ce fait, seront non remplis, incomplets ou inutilisables les évaluations d'un certain nombre de patients et cela mécaniquement affaiblit la méthodologie des essais cliniques et la fiabilité des résultats statistiques.En fait, on est tous d'accord avec vous. Le plus important c'est la qualité de vie du patient mais la difficulté demeure : comment fait-on pour évaluer cette qualité de vie de manière objective et sans avoir de perte d'information.

-JLD
... donc à travailler et dossier à suivre. Pr. Carpentier, votre étude permet-elle de distinguer un meilleur traitement entre la témozolomide et le bévacizumab ou dans le cas des patients n'ayant pas reçu de bévacizumab ?
-Pr. AC

Là encore, vous me posez une très bonne question mais compte tenu des différents paramètres de notre étude, il m'est très difficile de vous répondre. Clairement, le bévacizumab est une molécule majeure en neuro oncologie et une molécule majeure en terme d'indépendance fonctionnelle.Comme je vous le disais, dans le cadre de notre étude, le bévacizumab a été la seule molécule capable d'améliorer l'indépendance fonctionnelle des patients. L'inclusion de bévacizumab dans le traitement améliore l'état clinique de certains patients de façon spectaculaire.Ceci dit, à ce stade de nos essais, nous avons gardé le bévacizumab pour ceux de nos patients qui avaient déjà un bon pronostic. Cela crée un biais méthodologique (statistique) qui rend impossible de confirmer le rôle du bévacizumab en terme de meilleure survie globale. Donc il est difficile de dire avec certitude si ces patients ont vécu plus longtemps parce qu'ils ont pris du bévacizumab ou parce qu'ils avaient un meilleur pronostic de départ ?

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, votre étude suggère que les patients recevant de faibles doses de corticoïdes ont une meilleure survie sans progression. Qu'en est-il exactement de l'indépendance fonctionnelle – physique et cognitive – de ces patients recevant en plus ce type de traitement ?
-Pr. AC
Votre question est délicate et ce n'est pas un des messages principaux de notre étude. Lorsqu'un patient ne va pas bien parce qu'il a de l'œdème, vous prescrivez des corticoïdes et son état s'améliore. Un peu comme avec le bévacizumab, c'est pareil.Pratiquement tous les patients reçoivent des corticoïdes. Leurs effets consistent à fermer la barrière hémato encéphalique et donc à réduire l'œdème cérébral. Cette relation entre les corticoïdes et l'indépendance fonctionnelle est logique : plus vous mettez de corticoïde, plus le patient sera autonome. Dans l'étude, on montre que les patients qui au début ont besoin de très peu de corticoïdes ont survécu avec une indépendance fonctionnelle plus longue mais cette relation est très difficile à expliquer.Disons simplement que chez certains patients, peut-être que leur tumeur était mieux placée au niveau cérébral, ce qui donne moins de handicap, peut-être que ces patients sont en réserve de traitement, ayant reçu peu de corticoïdes au début on pourrait leur en donner plus par la suite. Encore une fois, ce n'était pas le but de cette étude, c'est très difficile à expliquer et je n'ai pas la réponse.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, permettez-moi de reposer ma question différemment : ces traitements anti-inflammatoires sont-ils plus ou moins efficaces pour les patients recevant du bévacizumab ? Comment l'expliquez-vous ?
-Pr. AC
Si vous voulez comparer stéroïdes et bévacizumab, votre question sort complètement du cadre de notre étude. Pour faire simple, les deux médicaments ont le même mécanisme d'action : celui de diminuer un facteur perméabilisant qui s'appelle le VEGF (vascular endothelial growth factor ou facteur de croissance vasculaire endothéliale en français – NdT). Ce facteur de croissance vasculaire va générer de l'œdème.Un médicament qui réduit ce facteur va aussi réduire l'œdème et donc améliorer l'indépendance fonctionnelle du patient. A ce niveau-là, le bévacizumab est souverain, il est tellement puissant en terme d'anti-VEGF que l'amélioration fonctionnelle va être très marquée.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, votre étude concerne des patients âgés de plus de 18 ans, avec une moyenne d'âge de 62 ans, mais certains ont plus de 70 ans. Les chances de survie, et de meilleure indépendance fonctionnelle, ne sont-elles pas beaucoup plus faibles chez ces patients très âgés ?
-Pr. AC
Vous avez tout à fait raison de le mentionner. Les patients très âgés sont, en théorie, susceptibles d'être plus fragiles et donc plus atteints par les contrecoups des traitements ou de la chirurgie mais, dans l'analyse statistique (multi-variée) des résultats de notre étude, l'âge n'apparait pas comme critère principal d'indépendance fonctionnelle.


-JLD
Pr. Antoine Carpentier, comment votre étude a-t-elle été financée ?
-Pr. AC
En fait, cette étude n'a pas eu besoin de financement. Il s'agit d'une étude rétrospective menée en interne – par le chef des services cliniques, le docteur Adama Sacko – dans le cadre des soins courants sur des patients que nous avons pris en charge.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier notre entretien touche à sa fin. Quelle sera la prochaine étape pour vous et votre équipe ? Sur quels projets travaillez-vous ?
-Pr. AC
Actuellement, nous venons de terminer des essais cliniques randomisés qui cherchent à diminuer les besoins en corticoïdes dont nous parlions tout à l'heure et de voir l'impact sur la qualité de vie et sur l'indépendance fonctionnelle.Ces essais cliniques ont eu lieu dans toute la France – centrés sur l’essai Aster – pour voir si les corticoïdes peuvent être remplacés par un autre médicament afin d'améliorer la qualité de vie. Les résultats, et j'espère qu'ils seront positifs, devraient-être disponibles d'ici deux ou trois mois.

-JLD
... en remplacement d'autres médicaments donc mais toujours en complément du bévacizumab ?
-Pr. AC
Non, en complément des traitements standard soit la radiothérapie plus témozolomide. C'est un peu dommage mais, théoriquement, le bévacizumab n'a pas d'AMM (autorisation d'utilisation médicale) dans le traitement des tumeurs cérébrales. Nous l'utilisons à la récidive mais cette option de traitement demeure l'exception plutôt que la règle...
Comme vous le faisiez remarquer, les études sur l'indépendance fonctionnelle sont plutôt rares et les méthodes d'évaluation, l'élaboration de critères objectifs d'analyse sont difficiles à mettre au point. Je pense que sur cette thématique de l'indépendance fonctionnelle, il est difficile d'aller plus loin en dehors d'essais cliniques bien structurés.Après cette étude rétrospective, l'étape suivante sera de monter une étude prospective, c'est-à-dire des essais cliniques où tous les nouveaux patients devront être traités de la même façon.

-JLD
Pr. Antoine Carpentier, notre rencontre est maintenant terminée. Au nom de toute l’équipe de la lettre de l’AnoceF, encore merci d’avoir accepté mon invitation d'interview.
-Pr. AC
Tout le plaisir fut pour moi et je vous en remercie.
Pour aller plus loin 
Publication :
Évolution du l'indice de performance de Karnofsky (KPS) pendant la vie de malade des patients avec glioblastome

Source
Interview, recherche et traduction : Jean-Luc Devirieux, journaliste – Bordeaux
Renseignements : jean-luc.devirieux@wanadoo.fr


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