26/11/2018
GFME, le témoignage de Christiane et de Christine pour Albert
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Le témoignage pour Albert de son épouse Christiane et de sa fille Christine

Albert
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Christine sa fille,
Je tiens à saluer le courage dont ma mère a fait preuve tout au long de la maladie de papa. Elle l’a soigné et soutenu de jour comme de nuit avec dévouement et amour. Elle lui a permis de vivre les derniers 18 mois de sa vie dans les meilleures conditions et chez lui, entouré des soins, comme il l’avait souhaité. Mon frère Emmanuel a lui aussi apporté une large contribution. Il s’est mis à l’entière disposition de mes parents tout en travaillant. Sa compagne, Aurélie, l’a souvent vu rentrer tard le soir et s’absenter le week end, voire la nuit, quand Manu relayait maman au chevet de notre père à l’hôpital. Je la remercie de sa compréhension et de sa gentillesse. Quant à Corinne, ma sœur cadette, elle a fait plusieurs aller/retour d’environ 400 km en voiture avec sa petite dernière d’à peine un an pour rendre visite à papa à l’hôpital, seconder notre mère dans les tâches domestiques et préparer les repas. Chacun a fait de son mieux face à l’impossible guérison de papa. Au nom des miens, je remercie tout ceux qui se sont également mobilisés, parents et amis. Manu était avec notre père la nuit de son décès. Il lui fermé les yeux et a replacé son dentier, si bien que lorsque nous sommes arrivées dans sa chambre, nous avons trouvé un homme serein et beau, avec un léger sourire sur les lèvres. Nous redoutions le coup de fil fatal, surtout la nuit. Mais Manu n’a pas téléphoné : malgré la neige, il a parcouru les 10 km qui le séparaient de la maison pour nous prévenir. Lorsque je l’ai vu arriver à 8 heures du matin, alors qu’il aurait dû être au travail, j’ai tout de suite compris. Il nous a parlé avec calme et douceur. Je lui en serai toujours reconnaissante. Mon père et moi étions très complices. Gamine, j’essayais avec lui les kartings qu’il avait fabriqués. Il m’a également donné le goût de la musique et du spectacle : dès l’âge de six ans, je l’accompagnais à la guitare en chantant. Il aimait voyager. Je l’ai fréquemment accompagné dans des centres de vacances où il exerçait en tant que cuisinier, moniteur, voire directeur. Nous étions contents de jouer les globe trotters et les aventuriers le temps des congés. Comme ma mère l’a évoqué, il était toujours prêt à rendre service. Je fais partie des nombreux privilégiés de notre entourage et du voisinage qui n’ont jamais emmené leur voiture au garage grâce à lui. Et il m’a aidée et soutenue dans bien d’autres domaines. Il aimait plaisanter et nous blaguions souvent ensemble. Même très malade, il avait toujours le mot pour rire. Si sa dégradation physique, due à l’évolution de la tumeur et à la chimiothérapie, m’a fait très mal, il la vivait comme un calvaire. Il souffrait de sa perte progressive d’autonomie, lui qui auparavant restait rarement inoccupé. Je le voyais parfois pleurer doucement. A quoi pensait-il alors ? A son avenir piétiné par la fatalité ? Il m’a confié un jour que son plus grand regret était de ne pas avoir pu rejoindre le Greta de Bourges, pour donner des cours de cuisine. Une autre fois, il m’a demandé : « Est-ce que vous vous rendez compte qu’avec tout ça j’arrive en fin de vie ? ». Oui, mon petit papa, nous le savions mais je ne t’ai pas répondu car j’étais aussi impuissante que toi. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, le vendredi 20 janvier 2006, un médecin m’a annoncé que mon père ne passerait pas la journée. En fait, son cœur a cessé de battre une semaine plus tard exactement, deux jours avant son 62 ème anniversaire. On nous a demandé s’il était sportif. Non, ce n’était pas un sportif mais un actif et surtout un vrai battant ! Papa avait ses qualités et ses défauts, comme tout le monde ; nous l’aimions comme tel parce que c’était Albert et il nous manque terriblement. Je rends encore une fois hommage à l’immense et digne courage dont il a fait preuve jusqu’à la fin et pour ce qu’il a été : un mari, un père, un ami dévoué et aimant. Il me reste à joindre ma voix à celle de mon frère qui a salué sa mémoire le jour de son enterrement par ce seul mot : MERCI.

Christine MARTINET

Christiane son épouse,
C’est le cœur serré qu’Albert ferme pour la dernière fois les portes de la cuisine où il a construit et réussi sa vie professionnelle. Sans emploi ni formation à 19 ans, il avait été engagé comme plongeur dans un Collège d’Enseignement Technique. Travailleur, ouvert, attentif et efficace, il embrasse alors la carrière de cuisinier qu’il agrémente de connaissances en pâtisserie. Il va passer plusieurs concours pour gravir les échelons jusqu’à celui de Chef Cuisinier qu’il obtiendra à 25 ans. Le dernier poste qu’il occupera avant son départ à la retraite sera celui de Maître Ouvrier Principal. Apprécié de ses supérieurs, il a toujours reçu les meilleures notations. Il se verra décerner les Palmes Académiques pour services rendus à l’Education Nationale. Malgré la tristesse de devoir quitter ses collègues et le Collège après 35 ans d’exercice, Albert est content : il sait qu’il ne décrochera pas tout à fait puisqu’il a l’intention de continuer à donner des cours de cuisine à Bourges via le Greta. Et puis, il a des projets plein la tête : terminer les travaux de sa maison de campagne où nous allons nous installer, rendre plus souvent visite à ses petits enfants, aller à la pêche, voyager. Il se sent très fatigué depuis un certain temps et il souffre d’une douleur lancinante dans la tempe droite. Mais une fois le déménagement terminé, il pourra se reposer et tout s’arrangera. Un mois plus tard, en août 2004, alors qu’il accroche sa remorque à la voiture pour un dernier voyage, il ressent comme une brûlure au palais. Cela l’intrigue, mais il ne s’y arrête pas. Pourtant, il est épuisé. Lui qui aime conduire, il repousserait bien cette fois son départ au lendemain. Il met cela sur le compte des nombreux allers retours entre Pontoise et Bourges qu’il a effectués ces derniers mois. Il est environ 20 heures, il a encore le temps de partir, il faut y aller. Un quart d’heure plus tard, en vérifiant les prises électriques de la maison, il reçoit une vive décharge. Comme il tarde à reprendre connaissance, j’appelle le Samu. L’une de nos filles entendra un urgentiste parler d’une attaque cérébrale. N’en sachant rien, nous pensons d’abord à une électrocution. Pendant les jours qui suivent, mon mari va subir une batterie d’examens à l’hôpital, sans résultat. Finalement, l’IRM va révéler une lésion au carrefour pariétal droit de type Glioblastome. Une biopsie permettra d’en déterminer le grade. Albert va d’abord hésiter à subir cette intervention pénible, pratiquée par stéréotaxie et non sans danger. La raison l’emporte. Il veut être fixé sur son état et recevoir les soins médicaux appropriés pour guérir au plus vite. En septembre, la biopsie confirme un Glioblastome de grade 4 donc inopérable ; il s’agit d’une tumeur maligne infiltrante et évolutive. Un traitement à base de radiothérapie et de chimiothérapie pourra au mieux ralentir son évolution. Les différents spécialistes que nous avons consultés ont malheureusement confirmé ce diagnostic. Albert est condamné, il lui reste 6 mois, 1 an à vivre au maximum. En fait, il résistera 1 an et demi. Nous sommes effondrés par cette nouvelle catastrophique. Pour la première fois, je vois mon mari pleurer. Il pleurera souvent, par la suite, la nuit surtout. Il disait que cela le soulageait. Trois jours après la biopsie, la lésion a produit un énorme œdème qui commence à comprimer le cerveau, provoquant une paralysie de tout le côté gauche du corps. Pour juguler son expansion, Albert devra prendre du Neurontin trois fois par jour pendant toute sa maladie avec du Médrol afin de limiter les crises d’épilepsie. Plongé dans un semi-coma, mon mari est hospitalisé d’urgence ; il faut tenter de réduire l’œdème par de fortes doses de cortisone. Il va retrouver ses facultés en quelques jours mais avec des séquelles irréversibles comme la difficulté à s’habiller et à se déplacer avec des tremblements dans la jambe gauche qui le font tomber. Le premier traitement d’attaque commence fin octobre 2004, soit 5 séances par semaine de radiothérapie, accompagnées d’une chimiothérapie avec le Témodal pendant 5 semaines consécutives, à l’exception des week ends. Sa physionomie se transforme : il perd ses cheveux, ses joues et son ventre se mettent à gonfler : il donne l’impression d’avoir vieilli de 10 ans d’un seul coup. Il ne supporte plus le bruit : « il résonne dans ma tête comme un train » disait-il. Les premiers troubles vont s’aggraver : les chutes sont de plus en plus fréquentes, la difficulté à s’habiller lui est pénible : il met régulièrement ses vêtements à l’envers ; parfois, il ne met qu’une chaussure et ne s’en aperçoit pas. Mais il ne renonce pas. Il s’oblige à rectifier ses erreurs, quitte à s’y reprendre à plusieurs fois. Le pire pour Albert est de ne plus pouvoir conduire, ce qu’il faisait depuis 37 ans. Lui qui aimait tant se déplacer dans sa voiture qu’il entretenait méticuleusement. Après un mois d’interruption, le traitement est repris sans la radiothérapie, avec une dose de Témodal plus forte pendant 5 jours avec un arrêt de 21 jours, de janvier à avril 2005. Depuis le traitement initial d’octobre 2004, la migraine s’est raréfiée, les douleurs dans l’épaule et l’œil droit ont cessé. Albert supporte plutôt bien la chimiothérapie. Des cachets de Zophren lui évitent les nausées et les vomissements. Mais il est constamment fatigué, dormant 12 heures par nuit et 4 heures l’après-midi. Son principal handicap et sa plus grande préoccupation, sont les chutes imprévisibles. Parfois, il parvient à en prévenir une mais le plus souvent il s’affale lourdement, jusqu’au jour où il tombe à la renverse sur le carrelage de la cuisine : il s’est fracturé deux vertèbres et deux côtes flottantes qui vont lui faire subir un calvaire durant toute sa maladie. Il déclare qu’il souffre plus de cela que de la lésion elle-même. Il aimerait bien savoir où elle en est cette lésion. Il doit faire un scanner en juin et l’attente depuis le mois de novembre lui paraît interminable. Avec le résultat du scanner, ses espoirs s’envolent : au lieu de régresser, la tumeur a légèrement progressé. Fin juin, il apprend par le journal de l’association Glioblastome qu’il peut bénéficier de l’avis d’un éminent chirurgien américain en lui adressant son dossier complet. L’espoir renaît : peut-être pourra t-il suivre un traitement plus efficace, peut-être une intervention chirurgicale est-elle possible ? Il envoie son dossier à Los Angeles début juillet. La réponse tardant à venir, notre fils et notre fille aînée vont chercher à joindre ce Ponte par mail et par téléphone. Lui aussi va tenter de nous contacter. La tâche est difficile de part et d’autre, en raison du décalage horaire et de la barrière linguistique. Lorsqu’ils finiront par l’avoir au bout du fil, il indiquera d’autres chimiothérapies dont le CCNU. Le dossier, qui revient en septembre, confirme le recours au CCNU. Par contre, l’éventualité d’une intervention chirurgicale est définitivement écartée. L’oncologue de mon mari refusera catégoriquement de lui administrer ce traitement. Pour l’obtenir, il devra se rendre à la Salpétrière, ce qui nécessite un déplacement en VSL de 600 km aller/retour. Albert n’hésite pas à y aller, tout en sachant qu’il devra se lever à 6 heures du matin, faire une longue route, subir de nouveaux examens et rentrer tard chez lui. Un premier traitement à base de ce produit commence en octobre. Mon mari est affaibli, il faut le soutenir pour marcher car il refuse le fauteuil roulant. Il devra pourtant s’y résoudre fin novembre puisqu’il ne peut pratiquement plus marcher. En décembre, les migraines reviennent. Malgré tout, jusqu’à la mi-décembre, il continuera à m’accompagner en voiture et en fauteuil roulant pour faire les courses. Puis il ne quittera plus son lit qu’une à deux heures par jour jusqu’à la fin du mois. En janvier, il commence à se plaindre quand on lui fait sa toilette et il dort sans arrêt. Il devient difficile de l’alimenter et de lui faire prendre ses médicaments. Il fait des fausses routes de déglutition qui provoquent un encombrement trachéo-bronchique. Le 16 janvier, il a de la fièvre et se met à délirer. Il voulait mourir à la maison, mais nous avons décidé de le faire hospitaliser pour lui éviter des souffrances insupportables. Le coma progressif dans lequel il avait sombré depuis la mi-décembre s’est aggravé. Pourtant, arrivé à l’hôpital, il reprend conscience pendant quelques minutes, nous fait un clin d’œil à mon fils et moi et murmure « ça va aller », comme il le faisait toujours pour nous rassurer. Il ne se réveillera plus et mourra le 27 janvier 2006 après 10 jours de coma profond, à 6 heures du matin, heure à laquelle il se levait pour aller travailler. Nous nous sommes relayés jour et nuit à son chevet et c’est Emmanuel, notre fils de 28 ans qui lui fermera les yeux avec un chagrin immense, celui du petit dernier qui avait tant appris de son père, ce papa orphelin qui avait réalisé à travers son fils ses propres rêves d’enfance…Si au début de sa maladie, Albert s’est laisser aller au découragement, il n’a pas baissé les bras longtemps. Doté d’un fort caractère, courageux et optimiste de nature, il s’est battu avec énergie. Outre les traitements médicaux, il s’est soigné à sa façon. Malgré ses handicaps, il n’hésitait pas à m’accompagner en voiture parfois pour de longs voyages chez des amis où dans la famille, notamment chez notre fille cadette pour voir nos trois petits enfants qu’il adorait. De même, il m’accompagnait partout ; pour faire les courses, du lèche vitrines, assister à des réunions chrétiennes. Tant qu’il en a eu la possibilité, il allait faire son tiercé, son seul loisir. Il m’a également aidée au jardin, à quatre pattes voire à plat ventre. En guise de rééducation, il s’obligeait à marcher une demi-heure par jour et il s’y est tenu jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se lever. Il se rendait souvent chez notre voisin dit « Dédé » qui habite à 20 mètres de chez nous pour discuter avec lui, prendre un café, partager des moments agréables. Hostile à toute forme de psychothérapie, le meilleur remède selon lui c’était l’amour et la tendresse de sa famille et de ses amis. Il disait parfois « j’en ai marre qu’on me bichonne comme un bébé » ; en réalité, sous cet agacement de façade, l’attention dont il était l’objet le réconfortait. Nous avons profité au maximum de tout ce que la vie pouvait encore lui offrir. Nous allions plusieurs fois par mois au restaurant. Lui qui s’était privé pendant plusieurs années à cause du cholestérol, s’était remis à manger de tout copieusement ; c’était un plaisir de le voir se régaler. Nous avons fêté nos 43 ans de mariage en nous doutant que ce serait le dernier anniversaire. Ce fut un grand moment de joie et d’émotion que nous pourrons revivre grâce au film que notre fils a fait ce jour là. Albert était un homme joyeux, plein d’humour et taquin. Par ailleurs généreux, dévoué, il aimait tendrement sa famille. Il était toujours prompt à rendre service à son entourage, à aider ses amis les plus démunis. Deux d’entre eux l’appelaient même “papa” bien que plus âgés que lui. Il a également donné des cours de cuisine à des jeunes en prison, leur apportant des friandises et du tabac, ainsi que du réconfort moral. Il m’a soutenue dans mon travail d’assistante familiale ; pendant plusieurs années, nous avons accueilli à la maison des enfants en grande difficulté et les avons éduqués ensemble. Malgré sa maladie, il me réconfortait en me disant « ne pleure pas, je ne suis pas encore mort. Jusqu’à 99 ans, j’ai le temps ». Il me faisait des recommandations « pour plus tard » comme celle d’être prudente au volant. « N’oublie pas que tu as trois petits enfants qui auront besoin de toi pour leur parler de leur grand père ». Albert ne méritait pas une telle fin. Le chagrin de l’avoir perdu sera difficile à surmonter. Il laisse derrière lui un vide immense. Chacun se souviendra de son courage et de l’énergie qu’il a déployée dans sa lutte contre la maladie pendant 18 mois, sans se plaindre. Il restera dans notre mémoire et dans notre cœur à jamais.

Christiane CODRONS

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